mercredi 18 juillet 2012

 
Colombie Britannique - Yellowhead Highway (1)


Arrivée à Prince Rupert, province de Colombie Britannique au Canada. Ce qui me frappe le plus, c'est la température: il fait bien plus doux qu'en Alaska, même si le ciel est couvert. Et ce n'est pas pour me déplaire. Ca a enfin un parfum d'été après la pluie et la fraîcheur alaskiennes. Il faut dire que le ferry a parcouru plus de 400 km vers le sud, et ça se sent. Deuxième surprise: je constate sur les panneaux routiers que les distances sont exprimées en kilomètres. J'avais complètement oublié qu'ils avaient le même système métrique que nous. Il faut dire que lors de mon dernier passage au Canada, mes souvenirs s'étaient principalement concentrés sur le crachin montréalais. Fini les feet, yards, miles et Farenheit et toutes ces formules de conversion bizarres. Je me rends à l'auberge de backpackers du coin, objectif: faire le plein de nourriture et de vitamines (des fruits, des fruits!!) avant ma grande traversée et surtout faire ma première lessive. Je n'ai pratiquement plus rien à me mettre qui ne sente le racoon. Quel plaisir d'avoir tous mes habits qui sentent à nouveau la lessive!

J'entame donc le lendemain ma quatrième semaine de voyage sous près de 25 °C et un ciel presque tout bleu. Je dépasse par la même occasion la période maximale de trois semaines de voyage en solo à laquelle je suis habitué. Mais c'est juste symbolique, je ne m'en rends même pas compte. Mon trip suit son cours naturellement sans que le temps ne se fasse sentir. Je pense que c'est le signe que je suis bien où il faut que je sois. Pas d'erreur.

J'embarque sur la Yellowhead Highway qui traverse la Colombie Britannique d'ouest en est. Le sentiment de changement par rapport à l'Alaska se fait, lui par contre, immédiatement sentir et se confirmera par la suite. Le paysage est tout aussi immense et majestueux, avec montagnes, forêts et rivières, mais cependant moins rude et hostile. Le climat plus doux permet ici aux fleurs et aux feuillus d'exister. Fini le monopole des forêts de sapin inextricables. Tout est plus varié, c'est moins dur pour le mental et donc plus agréable à parcourir à vélo.
J'apprécie donc beaucoup d'être redescendu un peu plus au sud et me surprends même à m'extasier sur les fleurs, à les admirer et les renifler. Il y a plein de couleurs différentes. C'est beau. Les aigles pêcheurs sont toujours aussi présents que les pies chez nous et j'ai même la chance de voir un phoque se prélasser dans la rivière que je suis. Il me regarde passer, peinard, en se laissant porter par le courant.


En fin de journée, petite surprise. Je ne suis ni trappeur et encore moins pisteur indien, mais ce que je vois sur la route laisse difficilement place au doute. Ca m'a tout l'air d'être de belles traces d'ours. J'avais presque oublié qu'ils étaient là, eux, avec tous ces changements d'environnement. Brusque remise à l'ordre, je dois toujours être sur mes gardes! Je prends la photo en vitesse puis me barre illico. Les traces sont relativement petites, ça doit être un ours noir. Je n'ai pas envie de trainer dans le coin.


Pour la nuit, je m'arrête après 90 km dans un camping visiblement fermé. Mais un gars qui est là pour la maintenance me dit que je peux rester sans payer et même utiliser la douche. Super! Un type passe en soirée et me montre une photo qu'il vient de prendre: deux grizzlies qui se promènent à l'instant de l'autre côté des rails qui longent la route, juste à la sortie du camping. Si j'étais arrivé une heure plus tard, je les aurais croisés... J'ai des frissons en imaginant la scène. Je passe une soirée tendue à essayer de lire, passant le plus clair de mon temps à scruter les environs au moindre bruissement de feuilles ou coup de vent. En plus, les moustiques s'y mettent. Ils sont plus petits qu'en Alaska mais tout aussi voraces. Avant d'aller me coucher, je rentre toute ma bouffe dans la baraque que le gars laisse ouverte toute la nuit au cas où je verrais quelque chose.

Mais la nuit se passe heureusement sans autre alerte et le lendemain est encore plus beau. Après avoir déjeuné avec des oeufs que mon hôte s'est gentiment proposé de me préparer, je continue ma route le long de la rivière Skeena, paradis des pêcheurs. Je vois d'ailleurs un saumon bondir en remontant le courant. A peine parti depuis dix minutes, un truc bouge et s'enfuit dans les hautes herbes de l'autre côté de la route. Je n'ai rien pu voir à part l'herbe bouger, mais ça avait l'air assez gros. Un ours? J'imagine que oui. Je ne sais pas ce que je ressens. Excitation et peur mêlées.
Plus loin, je crois une famille japonaise qui m'arrête, me prend une bonne vingtaine de fois en photo, me pose des questions. Ils posent à tour de rôle avec moi pendant qu'un autre continue de mitrailler. Une vraie star. Je ne serais pas surpris de me retrouver dans un journal japonais local. Ils m'ont en tout cas dit qu'ils m'enverraient les photos. Cinq minutes après cette séance de top model, un truc bouge à nouveau dans les herbes à mon passage. Et cette fois, je le vois très nettement courir et s'enfuir. C'est bien un ours! Noir, de la taille d'un gros chien. Ma première rencontre avec un ours en liberté à 5 m de moi. C'est génial! J'ai eu un peu peur sur le moment, surpris. Mais en voyant comme ils s'enfuient, ça me rassure. En tout cas, ils ont l'air de pulluler ici.


Mais la rencontre du jour d'après sera la plus intense... Toujours sous 30 °C et en plein soleil d'après-midi, je m'arrête sur le bord de la route pour casser la croûte. Il fait vraiment très chaud. Mais j'adore et ça ne me dérange pas du tout de pédaler sous cette chaleur, du moment que j'ai suffisamment d'eau. Alors que je suis en train de manger mes fruits secs, une voiture en sens opposé s'arrête, du heavy metal à fond. "Fais gaffe, mec, il y a un gros ours qui mange sur le bord de la route de ton côté, là, juste derrière ce rocher. Si j'étais toi, j'attendrais un peu." Me voilà donc tout penaud en train de regarder le fameux rocher qui est à 500 m, mâchant mes friandises tout de suite beaucoup plus difficilement. Et merde... Il fallait bien que ça arrive un jour, ça. Mais j'ai du bol d'être arrêté et prévenu. Une autre voiture s'arrête: "Il est toujours là." Je laisse passer facilement 15 minutes, plus personne ne me fait signe de quoi que ce soit. J'hésite à me mettre en route, mais je ne peux pas attendre là indéfiniment et il est hors de question de camper ici. Il n'y a rien de rien, c'est la brousse, et sachant qu'il est dans le coin, je risquerais de l'attirer avec ma bouffe. J'ai peur, il faut que je me décide à bouger. Je démarre donc. J'approche du rocher et je commencer à faire tinter ma sonnette en parlant fort. J'imagine le gros grizzly. J'accélère comme je peux pour pouvoir passer le plus vite possible. Je passe le rocher et ne vois rien... Si! Il est passé de l'autre côté de la route. Mais ce n'est pas du tout un gros ours, c'est un ours noir. Il lève la tête quand je passe et me regarde passer tranquillement. Ouf! Une fois éloigné et le moment de stress passé, je décompresse en éclatant de rire. Superbe! Magnifique! Quel moment!


Pour le coup, ça m'a foutu un sacré coup de punch et je ferai 110 km sur la journée sans forcer. Il était temps que je trouve un camping car vu la chaleur, mes 4 litres d'eau arrivaient à la fin et j'envisageais mal un camping sauvage sans flotte. Les forêts ont progressivement fait de la place aux prairies et le camping dans lequel je fais halte est justement à découvert, dans un pré. Du coup, pas de moustiques. Les seules bestioles qu'il y a sont de petites mouches noires qui sont certes très chiantes et envahissantes, mais qui n'ont pas l'air de piquer. Je monte donc ma tente sans me protéger. Et c'est la grave erreur... En passant ma main sur mon visage, je reviens avec du sang. C'est à moi, ça? Je n'ai rien senti. Je vais me regarder dans un miroir, et c'est bien à moi. Ca coule et j'en aussi partout sur les jambes. Saloperies de mouches! J'ai même été mordu à la paupière, où j'ai comme deux marques de suçons. Elles ont même été jusqu'à s'insinuer entre les poils de ma barbe pour me mordre.

Et ça a déjà bien dégonflé!
Mais ce n'est que le lendemain que je constaterai l'ampleur du désastre. Mon oreiller est plein de sang séché, mes jambes sont pleines de croûtes, ça chatouille et, le pompon, ma paupière a enflé jusqu'à me fermer l'oeil à moitié. Bravo! J'espère que ça ne va pas empirer, je n'ai pas envie de pédaler borgne. Heureusement, ça partira au bout de deux jours. En attendant, je me trimbale avec une tronche de bagarreur et je me gratte comme un galeux.



Le reste de la journée est difficile. Je sens le contre-coup de mes 110 bornes de la veille, le temps se couvre et le vent se lève contre moi. Sur le coup, j'ai envie d'un hôtel avec piscine sur le bord de la mer. J'y pense, j'ai envie de farniente. Il faut que je m'arrête, je suis trop fatigué et il commence à pleuvoir légèrement par averses. Heureusement, il fait toujours chaud. J'arrive à Hazelton, un village indien. Les habitants de la région sont à 90% des Indiens (appelés Native ou First Nation People, indien étant péjoratif) et ça fait plaisir à voir qu'ils soient restés en majorité dans ces coins reculés. Ils ont un physique carrément asiatique et très bronzé, ce qui prouve bien qu'ils sont arrivés d'Asie par l'ouest. Il est même très difficile à dire pour certains qu'ils sont Américains. Ceux d'ici sont là depuis 8 à 10 000 ans!

Donc, me voilà sur la route de Hazelton quand un type arrête sa voiture devant moi, sort et me demande si j'ai un peu de temps pour causer. Je m'arrête évidemment et on se présente. Il s'appelle Darren: "Tu veux venir planter ta tente dans mon jardin? Et ce soir on ira à une fête." Ca alors! Le gars qui s'arrête pour me proposer ça. Excellent! Je n'hésite pas l'ombre d'un instant. "OK!" Il me dira plus tard avoir apprécié la rapidité avec laquelle j'ai accepté. Il m'explique où est sa maison, dans les bois, au bout de 1,5 km de chemin de terre. Je m'engage sur le chemin et c'est difficile. C'est long, les pentes sont escarpées et la terre s'est transformée en boue suite aux averses. Je m'enfonce dans les bois et commence à me dire que j'ai peut-être été un peu trop rapide à accepter. Et si c'était un méchant? Je suis peut-être en train de plonger tête baissée dans un guet-apens? Mais finalement je vois sa maison se profiler en haut d'une côte. Une vraie cabane dans les bois avec tout le confort nécessaire.


Je plante ma tente, puis Darren me fait le tour du propriétaire. C'est un amoureux de la nature, un vrai. Un qui vit dedans et avec elle. Sa maison n'a ni électricité ni eau courante. Les toilettes sont naturelles et la merde est utilisée comme compost. Il m'emmène admirer la vue qu'il a de sa propriété et c'est juste splendide. Il ne s'emmerde pas, le gars.




Darren qui prépare du saumon avec des fleurs
Une étendue de nature rien qu'à lui et son pote avec qui il la partage, dans laquelle il cueille pas mal d'herbes et de fleurs qu'il utilise dans ses plats. Il me fait goûter des fleurs et c'est vraiment bon! Ce que j'apprécie, c'est que Darren n'est pas un extrémiste. Il est juste à fond dans son mode de vie, mais intelligemment, pas comme un qui veut se la jouer. Il n'exagère rien. Et il veut le partager avec le plus de monde possible. Il aime les voyageurs et c'est pour cela qu'il m'a arrêté sur la route. Trois jours auparavant, il avait accueilli un cycliste argentin.


Après ça, on démarre pour la fête. Je ne sais du tout quel genre c'est et je suis un peu gêné avec mes habits crados. Tant pis, je suis un voyageur et je viens de faire une étape à vélo, la bonne excuse. Finalement, je découvre que la fête se passe en extérieur au Chicken Rocket Ranch avec des fermiers et des hippies. Tout le monde est plus crade que moi et j'ai l'impression de blinquer comme un sou neuf. Ils viennent de travailler au champ et c'est maintenant la fête. Concours de tir à l'arc, barbecue, bières, musique autour du feu, de la bonne nourriture "nature". Ca danse, ça parle écologie. C'est génial, une vraie fête de campagne baba cool. Un groupe de filles de Montréal est là, qui voyagent de ferme en ferme en travaillant contre le gîte et le couvert. Elles parcourent ainsi tout le Canada.


La nourriture que tout le monde a apportée est super bonne. Ca change des mes pâtes au thon. Le poisson cru fut délicieux. Je m'en suis tellement empiffré que j'avais la barbe qui sentait encore le lendemain.

Le moment fort de la soirée se passe vers minuit quand, d'un coup, des lumières vert-jaune envahissent le ciel, dansant et bougeant comme des spots. Une aurore boréale! Ma première. Je ne m'attendais pas à pouvoir assister à ça en été. C'est magique! Merveilleux! Et on y aura droit pendant 20 minutes. Malheureusement, vu que le ciel n'est pas très sombre, les couleurs sont faibles, et donc impossibles à prendre en photo.

Durant la soirée, Darren propose de faire le lendemain le tour de sa propriété et de nous faire découvrir les fleurs et plantes du coin. Son pote Chris, les Québecoises et moi-même sommes de la partie. C'est super! Ce type est émerveillé devant n'importe quelle manifestation de la nature. Il nous explique tout avec passion et rien ne lui échappe. Il nous amène finalement à une petite cascade dans laquelle il a l'habitude de venir se laver. On l'imite et on se retrouve tous au bain. C'est frais, et tellement bon et pur!

Darren en guide nature
 

Après cette super randonnée agrémentée d'un bon bain, il est midi, il fait splendide et j'ai tout le temps de plier mes affaires et de rallier ma prochaine étape. Ce que je viens de vivre avec eux ces dernières 24h m'a complètement requinqué, même si la nuit fut courte, et j'ai hâte de reprendre la route, gonflé d'énergie et de merveilleux souvenirs. Je dis au revoir à tout le monde et remercie chaleureusement Darren pour son accueil. Il me remercie à son tour d'avoir eu "5 minutes pour lui parler", on se hug comme il se doit, et je remonte sur ma bicyclette pour de nouvelles aventures.

10 commentaires:

  1. c'est le paradis sur terre qui continue! même s'il y a des petites bestioles qui parfois font vivre l'enfer. Une autre confirmation: c'est en voyageant seul qu'on fait les plus belles rencontres, animales et humaines, toutes inoubliables. Je te suis, je t'envie, je t'admire. Prends bien soin de toi. Fais gaffe aux grosses et petites bêtes. J'attends la suite avec impatience. Bisous

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  2. Cher pépé, il me semble que tu ne nous as pas encore parlé de tes aventures amoureuses ! Je suis sûr qu'après avoir rencontré autant de poupées, il y a du avoir du romantisme !

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    1. Ahaha mais il faut parfois savoir lire entre les lignes, mon cher Anorak. ;)

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  3. Quelle aventure! Je te lis avec délice. Les bestioles dont tu parles sont à mon avis des sangsues car ici on les employait dans la médecine d'autrefois à titre thérapeutique chez ceux qui souffraient de trop de tension artérielle (sic). Continue à nous enivrer tous et prends soin de ta personne! A+

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    1. Non, ce sont bien de minuscules mouches qui mordent et arrachent un bout de peau sans faire mal. C'est après qu'on déguste. Ils les appellent les black flies. Une vraie saloperie!

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  4. Huhuhu, j'ai aussi connu quelqu'un à qui la mésaventure de la barbe est arrivée (des marinières je pense) :D

    Encore encore dis!

    Olga

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  5. Un conseil: fais gaffe aux étrangers! Parfois ils sont bizarres :-)

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  6. Un Flamand va en Wallonie et entre dans un magasin :
    - C'est quoi cette bouteille en métal ?
    - Un thermos.
    - Ah? Et ca sert à quoi ?
    - Ben, tu mets un truc froid dedans, et ça tient froid ; tu mets un truc chaud, et ça tient chaud.
    - Super, j'achète.
    Rentré au pays, il le montre à sa femme :
    - Tu vois j'ai acheté une bouteille fantastique : tu mets un truc froid dedans, ca reste froid ; tu mets un truc chaud dedans, eh ben ça reste chaud !
    - Allez zeg, super, dis.
    Le lendemain au boulot à Bruxelles, un collègue lui demande :
    - Tu as amené une bouteille en métal ?
    - Ben non camarade, pas une simple bouteille, c'est un thermos : tu mets du froid dedans, ca reste froid, tu mets du chaud, ca reste chaud !
    - Ah ok, oui je connais, et tu as mis quoi dedans ?
    - 2 cafés et un frisco !

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  7. Ah le beau temps, ça change du crachin de Montréal c'est sur !

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