samedi 9 mai 2015

 
Belgique / Pays-Bas - Quitter Bruxelles & La côte hollandaise dans le vent

Grand départ samedi 8 mai à 10h20. C'est sous les encouragements et les au revoir poignants de mon comité de départ que je prends la route de devant la porte de chez moi vers l'Islande. Première étape, la sortie de Bruxelles qui, ajoutée aux émotions liées au départ, en représente une des plus stressantes. Je m'arme donc comme je le peux afin d'être le plus visible possible et enfourche mon compagnon pour les mois à venir. Le temps est idéal: ciel dégagé et une quinzaine de degrés sans vent. C'est parti.

Il me faut une grosse heure pour quitter le centre en passant par la Basilique, ce qui finalement se révèle être assez tranquille. Je m'étais tellement préparé à ce que cette sortie de ville soit super pénible qu'au final ça se passe très bien et l'excitation du départ rend même tout un peu rose. Passer par des endroits que j'emprunte quasi quotidiennement à vélo dans un tout autre but et esprit leur donne un visage complètement différent. Je pense que je n'ai jamais autant regardé et apprécié la place Rogier ou les bâtiments de Belgacom.

Ensuite, viennent les agglomérations avoisinantes qui s'enchaînent. Rien de trépidant, mais au moins ici, j'ai la satisfaction de pédaler sur de vraies pistes cyclables, et c'est très agréable.

C'est à partir de Denderleeuw que le trajet commence à être intéressant. Je quitte enfin après 30 km les routes nationales pour me retrouver sur des chemins de halage et des RaVeL, et ce jusque la frontière hollandaise. Ca foisonne d'oiseaux: hérons, oies et canards de toutes sortes.


Après 70 km, mon but premier qui était de quitter la Belgique dès le premier jour est atteint. C'est là que je prends réellement conscience de ce que j'entreprends. Jusqu'ici, ça pouvait encore ressembler à une balade, mais en quittant le territoire belge, je réalise que je suis vraiment parti pour un fameux voyage.

Après 110 km, j'atteins Breskens, sur la côte, afin d'y passer ma première nuit. Je suis plus fatigué par l'émotion accumulée ces derniers jours ainsi que par les nuits à boire des bières que par la distance parcourue. Excellente première journée, j'ai beaucoup apprécié et me suis très vite retrouvé dans mon élément.

Le jour suivant, commence ma remontée de la côte hollandaise vers le nord. Le réseau cyclable est tout simplement formidable. Je savais, tout le monde sait, que la Hollande est le pays du vélo, mais de là à imaginer un réseau aussi développé et bien foutu, je n'en reviens pas. Je passe à peine 20 % de mon temps sur des routes. Et encore, seulement dans les bleds où il n'y a personne. Le reste du temps, quelle que soit la forme de la piste sur laquelle je roule, c'est le pied magistral. C'est même souvent carrément des routes pour vélos plutôt que des pistes cyclables. Elles sont même par endroits mieux entretenues que les routes et on a droit à de vrais échangeurs aux gros carrefours. Un réel réseau routier cyclable parallèle. Pour la traversée des embouchures, des ferrys sont prévus. Certains sont mêmes gratuits. J'en connais qui feraient l'aller-retour rien que pour le plaisir.

Les temps est très instable et le vent devient de plus en plus fort. Heureusement, je l'ai de dos.

Je pensais que la traversée de ce pays serait monotone. Je me suis trompé. La grande majorité de la côte ouest est faite de réserves naturelles que des kilomètres de pistes cyclables parcourent. Dunes sauvages et bois se succèdent pour mon plus grand plaisir. J'arrive même un soir à trouver un endroit pour camper tellement c'est la pleine nature.

C'est parfois un peu frustrant d'être cycliste ici. J'ai eu l'habitude, partout où j'ai voyagé à vélo, de saluer les cyclistes du même type que moi, c'est-à-dire ceux qui sont chargés comme des mulets et visiblement en route pour un long voyage. On est un peu les chauffeurs de bus du vélo, qui se saluent en se croisant d'un air complice, du genre "On est dans la même merde, on sait." Dans les endroits les plus isolés, on s'arrête même de concert afin de tailler le bout de gras. "Tu vas où? Tu viens d'où? T'as pas trop mal aux fesses?" Mais ici, c'est différent. Quand j'en croise un, il regarde devant lui, indifférent ou réservé. Ou gêné? Je ne sais pas. Ils ont toujours un matos flambant neuf et plutôt l'air d'être en route pour un long weekend que pour plusieurs mois, donc je ne sais pas, je n'ai pas encore eu l'occasion d'en accrocher un. Ils ne me répondent même pas et je me sens un peu con à faire signe dans le vide. C'est plutôt parmi les centaines d'autres, ces Hollandais normaux qui sont à vélo parce que c'est ça qu'un Hollandais fait, que les gens m'observent, me sourient ou me saluent. C'est avec eux que ça passe bien.

Après les dunes, j'arrive dans la région des champs de tulipes. On est en fin de saison et la plupart sont déjà coupées mais il reste tout de même quelques dégradés de couleurs à admirer.


Le vent est infernal. Je me répète sans cesse que j'ai un des plus gros bols du monde de l'avoir pour une fois dans le dos. Bien sûr, il m'aide énormément en me poussant et me facilite la tâche mais ce n'est pas comme si je gardais tout le temps le même cap. Dès que ma route bifurque, ce qui arrive très souvent sur ces chemins sillonnant entre les dunes, et que je le ramasse de côté, je dois pédaler de guingois en m'agrippant à mon guidon si je ne veux pas me retrouver les quatre fers en l'air. J'ai même parfois la chance de me retrouver pour un court instant face à lui et là, on serre les fesses et on pousse. Mon chargement, quel que soit ma direction, prend le vent comme une grand-voile. C'est donc à mon avantage ou pas. Généralement pas.

Un soir, en arrivant dans un camping, je demande à la proprio si elle a une place à l'abri du vent car ce serait tout simplement impossible de dormir en tente tellement il est violent. On fait ensemble le tour de la propriété pour voir si un endroit derrière un mur ne serait pas un peu épargné, mais en vain, le vent souffle partout. Elle me propose alors gentiment de poser ma tente à l'intérieur de la grange, sur le béton. J'accepte évidemment avec joie vu que ma nouvelle tente à deux arceaux me permet de la poser sans devoir la planter. C'est exactement dans ce but que j'avais choisi de changer de modèle. Je suis ravi et passe une nuit tranquille, sans un bruit ni une secousse. Et en plus, c'est gratos.

Avec les joies de ce vent tempétueux, viennent les averses. Dès le moment où je les vois au loin, je sais qu'il me faut trouver au plus vite un abri car avec ce souffle, elles arrivent en moins de temps qu'il ne faut pour y penser. En quelques minutes, la température chute, le ciel devient noir et les gouttes glacées tombent. J'ai jusqu'ici pu assez bien les gérer en me trouvant un toit au moment où ça commence à tomber.

C'est d'ailleurs après l'un de ces arrêts chocolat chaud à attendre dans un café que le grain passe que j'oublie mon casque. Ca m'apprendra à toujours le mettre sur ma tête, tiens. Donc, me voilà reparti sous les rayons du soleil qui sèchent les traces du déluge qui a eu lieu 15 minutes auparavant, dans le même sens que mon vieux pote Eole. Une parfaite ligne droite sur près de 5 km, poussé à 30 km/h, guilleret. Et d'un coup, j'y pense: "Merde! Mon casque!" Mon nouveau casque... Je fais demi-tour illico pour aller le rechercher sur l'appui de fenêtre où je l'ai déposé et me retrouve donc bien entendu cette fois avec le vent en pleine tronche et la tronche en plein vent. Non seulement, je n'avance pas et je mouline comme si j'attaquais une côte à 10 %, mais certaines rafales sont tellement fortes qu'elles me stoppent net et m'obligent à mettre pied à terre pour ne pas valser dans le fossé. Un délice. Je mords sur ma chique tout en évitant de me traiter continûment d'imbécile et arrive ainsi à grapiller petit à petit du terrain pour me retrouver où j'étais 40 minutes plus tôt. C'est donc cette fois avec le casque sur la tête que je reprends la même route pour constater qu'il m'aura fallu plus de temps pour faire le retour face au vent que pour faire les deux allers, tout en prenant le temps de m'arrêter pour pisser. J'ai maintenant la confirmation que si mon trajet avait été en sens inverse, ç'aurait été un enfer. Quoi qu'il en soit, excellente préparation pour l'Islande.


Vers 17h, j'arrive en bordure de l'IJsselmeer, cet immense lac d'eau douce situé au nord du pays et séparé de la mer par une immense digue de 32 km. J'ai déjà bien engrangé de kilomètres pour la journée mais je préfère malgré tout tirer parti du vent qui souffle exactement dans le sens de la digue pour faire la traversée maintenant car je pense qu'un vent contraire ou ne fût-ce que moins favorable peut très vite la transformer en calvaire interminable. De plus, je suis très excité à l'idée de m'avancer sur mon vélo "en pleine mer". Dans la préparation de ce voyage, c'était d'ailleurs un des trucs que je considérais comme à faire absolument. Je me lance donc sur la digue sans plus attendre. Et là, c'est le booster, le coup de pied au cul. Le vent ici est encore plus fort et violent, stoppé par plus rien du tout. Je n'ai jamais été aussi vite à plat. Je donne quelques coups de pédale pour maintenir la cadence, mais je suis la moitié du temps en roue libre à plus de 30 km/h. C'est génial, grisant. Et être entouré de flotte de chaque côté tout en ne voyant pas la fin de la digue est complètement irréel. C'est génial. A se demander où ça va s'arrêter, si je ne suis pas parti pour faire une traversée atlantique. Un peu stressant, d'ailleurs. Bon... C'est aussi très crevant, car si je ne me fatigue pas trop les jambes, c'est en revanche les bras qui encaissent tellement je tiens mon guidon pour prévenir les rafales qui me poussent jusqu'à 38 km/h. Je suis plutôt tendu comme un string que tranquille. C'est donc en seulement une petite heure que je rejoins l'autre rive, et c'est bien assez car je suis lessivé. Je suis ravi de l'avoir fait et encore plus dans ces conditions.

Pour l'heure, je dois trouver un endroit pour passer la nuit et il m'est toujours impossible de planter la tente. Je repère donc par chance quelques kilomètres plus loin un B&B où je décide de m'arrêter pour passer une nuit de luxe dans un lit. Déjà me retrouver à utiliser mon joker dès la cinquième nuit, j'aurais largement pu m'en passer, mais le contexte ne me laisse pas le choix.

Le lendemain, le vent a tourné et je suis bien content d'avoir fait la traversée la veille. Le paysage ici est beaucoup moins intéressant qu'auparavant. Je ne fais que traverser des champs, des polders, et croiser des moutons qui me regardent passer d'un oeil reflétant toute l'intelligence qui les caractérise. C'est marrant de traverser leurs pâturages par des petites barrières qu'on ouvre et qu'on ferme, qu'on ouvre et qu'on ferme, mais après une dizaine ça a plutôt comme résultat de casser le rythme. Fini les jolies dunes. Je sens de plus la fatigue accumulée ces derniers jours pointer le bout de son nez et je commence un peu à me trainer. Je décide donc de m'arrêter dans un camping à 14h, le vent a entretemps bien baissé d'intensité et la nuit en tente est désormais à nouveau envisageable. J'ai de toute façon déjà fait 50 km et il est temps que je prenne un peu de repos. Aussitôt ma tente dressée, je m'y allonge pour finalement en sortir à 18h. C'était manifestement nécessaire. Le lendemain, le vent, qui a baissé mais aussi changé de direction, me freine et je peine à avancer. Mes jambes sont trop fatiguées et le repos d'hier n'a pas été suffisant. Je vais m'arrêter un jour complet sans bouger. Près de 600 km en 7 jours, je pense qu'il est temps de récupérer un peu.

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