mercredi 12 septembre 2012

 
Colorado - Rocky Mountain National Park, l'accomplissement

J'arrive sur les bords de Lake Granby où je m'installe face aux montagnes qui m'attendent demain pour mon ultime challenge et le couronnement de cette aventure: ni plus ni moins l'ascension de la Trail Ridge Road, la route la plus élevée des Etats-Unis, qui culmine à 3713 m dans le Rocky Mountain National Park. Par extension, elle est également la plus élevée d'Amérique du Nord, vu que j'avais déjà gravi celle du Canada à 2206 m lorsque j'étais dans le Kananaskis. Cela fait bien 10 jours qui j'y pense car c'est sans conteste l'épreuve physique la plus audacieuse de ce périple, qui se présente un peu comme la cerise sur le gâteau car il me restera après cela une seule étape pour arriver à destination. Je suis très excité et le nombre 3700 me trotte sans cesse en tête. Je sais que c'est très haut pour monter avec un chargement comme le mien, et plusieurs cyclistes, dont Dan, m'ont dit que l'air là-haut se fait plus rare, rendant la respiration un peu plus difficile. Ce sera l'occasion de voir si mon petit entraînement de trois mois a porté ses fruits.


Je me lève le lendemain avec la pêche, parfaitement reposé après dix heures de sommeil. Il fait tout bleu, pas l'ombre d'un nuage. C'est parfait! C'était en effet la condition nécessaire pour que je m'engage sur cette route. J'ai déjà essuyé une averse de grêle à 2500 m, inutile d'aller tenter le coup à 3700 m pour savoir que je me les gèlerais sans y voir goutte. Je plie mes bagages et m'apprête à les accrocher à ma monture quand je vois que mon pneu arrière est dégonflé. Et merde! Ca commence à me gonfler! A tous les coups, c'est ma réparation d'hier qui n'a pas bien tenu. En effet, la rustine est juste sur la rainure de la chambre à air, ce qui laisse un minuscule jeu et empêche un colmatage parfait. Heureusement, la perte d'air est infime et très lente. C'est irréparable, le trou est trop mal placé. L'idéal est que j'inverse les chambres avant et arrière pour que la pression moins grande à l'avant retarde le dégonflage. Mais je n'ai pas de temps à perdre pour ça, le temps m'est compté si je veux terminer l'ascension et la descente avant le coucher du soleil. De plus, je risquerais de faire pire que mieux vu mon impatience. Tant pis, je pars comme ça et je surveillerai mon pneu pour le regonfler de temps en temps. Ce n'est pas cela qui m'empêchera d'y arriver.

Je pars donc pour 80 km au total, dont une grosse vingtaine d'ascension pour un dénivelé d'environ 1200 m. Si la longueur et le dénivelé sont choses connues pour moi, l'altitude en revanche représente la grande inconnue.


Première constatation: c'est magnifique. Comme tous les parcs que j'ai traversés, la nature est impeccablement sauvegardée à l'état sauvage. L'automne est également ici déjà présent et les arbres par endroit sont jaunes ou orange.



L'ascension commence, longue, jusqu'à un premier palier à 2 miles d'altitude où je m'arrête pour manger.


Et là, recommence le défilé de photographes comme au Yellowstone. Les gens sont admiratifs et veulent une photo de moi. Je fais ainsi la connaissance de plein de monde très enthousiastes au fait que j'arrive bientôt à destination finale et tout cet entrain me donne un coup de pouce pour reprendre la montée. Après avoir redonné un coup de pompe à mon pneu, évidemment.

C'est à partir d'ici que l'ascension se corse car les arbres laissent la place à la toundra et le vent se met à souffler fort, mais étrangement c'est là que je me sens le mieux. Et finalement, sans aucun essoufflement ni difficulté de respirer, j'atteins le sommet après quatre heures, frais comme une rose, désirant même qu'il fût plus haut, histoire d'atteindre les 4000 m. Le constat est rapide, trois mois à pousser 50 kg à raison de cinq heures par jour, ça porte ses fruits. En tout cas, ce sommet est une magnifique récompense et j'en profite! Les voitures klaxonnent et les pouces vers le haut sortent par les vitres. C'est fait! Joie et félicité!

3713 m
3714 m
Et que c'est haut! Et beau! C'est très impressionnant. Quelle pureté. J'en profite pleinement durant la descente que j'entame assez rapidement car il fait assez frais là-haut une fois que l'on a arrêté l'exercice et qu'on est en petite tenue. Je me répète en boucle: "Je l'ai fait! Je l'ai fait!" Quel bonheur!






Vers la fin de la descente, de retour dans les prés, un troupeau de wapitis paît tranquillement. Enfin, tranquillement... Un mâle fier et majestueux vieille farouchement sur son harem en lançant des regards de défi à un autre mâle qui s'approche un peu trop et rappelle ses femelles d'un ton qui ne laisse place à aucune forme de féminisme. Respect, crainte et soumission au mâle tout-puissant, telles sont les valeurs en vigueur chez les wapitis. C'est beau quand la nature parle.

A la maison, femmes! Et que ça saute!
Après ma dernière nuit en campement, j'entame l'ultime étape (après avoir pris le temps d'échanger mes chambres à air, cette fois) qui m'amènera à Boulder, que j'ai désignée comme destination finale. J'évite ainsi les cinquante derniers kilomètres d'autoroute et de trafic intense jusque l'aéroport. Je n'ai pas envie de bousiller trois mois de voyage fabuleux dans la nature avec un dernier jour totalement inintéressant, dangereux, stressant, bruyant et pollué. 

dernière levée de camp
La première partie de l'étape est en descente très agréable pendant près de 30 km, une espèce de relâchement en récompense pour terminer en douceur. Puis, 25 km avant l'arrivée, le déclic se fait et c'est la prise de conscience de la fin, le moral qui lâche. La tête n'y est plus et j'ai toutes les peines du monde à avancer. C'est pénible. Deux événements inattendus me redonneront du baume au cœur et m'aideront à apprécier un peu plus cette portion de route. Le premier est deux ours noirs que je vois descendre de la colline à ma droite pour traverser la route. Cela fait plus d'un mois que j'en ai vu, et dans ces circonstances, je suis encore plus ému. Un peu comme un au revoir. Ceci dit, une bagnole évite de peu le deuxième...

Le deuxième événement est un gars qui s'était intéressé à moi et m'avait photographié hier lors de mon break repas pendant l'ascension. Il ralentit à ma hauteur, me fait signe et stoppe plus loin pour prendre d'autres photos de moi. Je m'arrête pour papoter et en profite pour partager mes états d'âmes, mais il me félicite tellement à coups de "Ca y est, mec, tu l'as fait! Tu y es! Quel exploit!" qu'il arrive à me remonter un peu le moral. Mon voyage l'inspire beaucoup et il aimerait faire la même chose. Je vois vraiment dans son regard beaucoup d'admiration sincère, sans exagération. Ca me fait chaud au cœur, c'est le moment où j'en avais besoin, et je peux repartir un peu ragaillardi. Je pense qu'il n'a pas idée à quel point il m'a aidé. Quand il m'enverra les photos par e-mail, je le lui dirai. 


Et puis, ça y est, Boulder est là. La satisfaction et la joie que j'éprouve dans la réalisation de ce fabuleux voyage a du mal à cet instant à prendre le pas sur la tristesse d'en voir la fin et je dois presque me forcer à prendre cette dernière photo, symbole de la fin. C'est dur. En tout cas, le trafic déjà bien intense me confirme que j'ai pris la bonne décision d'arrêter ici.


Un voyage fait d'intensité émotionnelle, physique, de bien-être jour après jour, de rencontres et de paysages inoubliables, c'est ce que cet Alaska-Colorado à vélo en solitaire aura été. Trois mois de pur bonheur, 5226 km parcourus pendant 304 heures (12 jours et 16 heures), 5 états américains et 2 provinces canadiennes traversés, des cols de plus en plus hauts gravis jusqu'à 3713 m, des températures glaciales à torrides, beaucoup de soleil, des paysages plus différents et spectaculaires les uns que les autres, de la glace, de la montagne, du désert, de la forêt, plein d'animaux sauvages, une nature splendide, des gens merveilleux et gentils, des millions de souvenirs, des muscles en plus et des kilos en moins, tels sont les éléments qui ont fait de ce périple un succès complet. Je n'ai pas pu collecter de plaques d'immatriculation au Canada, mais ma pile de trophées de la route est complète pour les Etats-Unis et illustre mon cheminement. Alaska-Colorado, c'est fait! J'ai juste envie de revenir pour terminer ma traversée du continent. Et je le ferai. Mais en attendant, d'autres parties du monde...



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8 commentaires:

  1. Rhaaaaa ! C'est juste génial ! J'en suis toute émue !

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  2. Wouaaah! you did it! Magnifique! Glops! 5226 km en 12 jours et 16h!!! et sans EPO!? c'est vachement mieux qu'Amstrong au tour de France!;-) Et maintenant, la suite... mais d'abord, une bonne Duvel. Elle t'attend, et moi aussi. bizzzzzzzz

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  3. Voilà, c'est toi le King maintenant!!! Et pas l'autre avec son maquillage qui radote sur sa grandma!! ;) C'était un récit fabuleux que j'ai suivi de bout en bout et presque au jour le jour (même si je n'ai pas souvent posté de commentaires...)! Merci d'avoir partagé tout ça avec nous. Vivement que vous publiez la suite lors de votre aventure au Népal ainsi! Tchuss, Bardus. :)

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  4. Bravo Pépé! Super aventure!
    Et merci de nous avoir amené avec toi!

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  5. Et bien, je dois bien avouer que je suis moi aussi ému par le fait que ça s’arrête.
    J'ai dévoré chacun de tes poste avec un plaisir énorme.
    C'est dingue comme tu arrives a nous faire vivre ça avec ta belle plume.

    Félicitations !

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  6. Rahhh, tu l'as fait ! Bravo Pépé !
    T'auras bien mérité ces 2 semaines de repos (?) avant de continuer ton périple.

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  7. Félicitations, Valéry. Je me joins aux remerciements, pour la belle aventure que tu as réussi à nous faire vivre en léger différé. Belle plume, bravo! Et je comprends que la fin de l'aventure doit être un peu difficile à digérer. Mais tu vas certainement trouvé d'autres activités qui te feront vite oublier ce petit coup de mou. A bientôt!

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