J'ai moins le moral qu'hier et la mise en route est difficile. Le ciel est sombre, couvert et je me retrouve nez à nez avec mon problème de dérailleur que je vais devoir gérer aujourd'hui. J'ai un peu peur du verdict et je me prépare au pire. Je suis aussi un peu démoralisé à l'idée de devoir refaire le trajet d'hier, qui n'était pas des plus sympas. Bon, à l'attaque! Une heure et demie après que l'hôte du camping, bien gentil, m'a appelé un taxi, le voici qui arrive. Ca tombe bien, c'est un monospace, il y aura la place pour mon bexon. Sur le chemin, je visualise ce que j'ai parcouru la veille et ça me semble énorme à refaire. Une heure plus tard, je débarque devant le magasin de vélos et le type d'hier, qui m'a reconnu, sort voir ce qu'il se passe. Je lui montre mon éclopé et sa réaction ne laisse planer aucun doute, il va falloir opérer. Après diagnostic, il m'annonce ne pas avoir la pièce qui tient le dérailleur au vélo. C'est ça le plus chaud. Son plus grand challenge est alors de redresser la mienne, qui est complètement tordue, à l'aide d'un étau, sans la casser. Il y arrive finalement très bien et me dit au bout d'un quart d'heure: "OK, sans vouloir m'avancer, je pense qu'il y a moyen." Ma chance: il a juste un exemplaire de dérailleur qu'il me faut. Ouf! Il installe le brol, change ma chaîne qui est tordue, remplace le câble, met un nouveau rayon, et après 2h de soins intensifs, il me rend l'animal, prêt à reprendre la route. Merci chef! Tu ne t'es pas gouré de métier, toi. Alors que je m'étais résolu à attendre le lendemain dans le meilleur des cas, il est 14h30, le ciel est maintenant tout bleu, il fait chaud et j'ai tout le temps de reparcourir ces 60 bornes. Autant les faire le plus vite possible, j'ai une revanche à prendre. Et ces bonnes nouvelles m'ont foutu la pêche!
Après plus ou moins trois heures de route, je retrouve le lieu du crime et en profite pour y dresser une sépulture en hommage à feu mon dérailleur et me recueillir quelques instants. La vie n'a pas toujours été facile à deux, tu avais tes petites crises: "Non, j'ai pas envie de passer la vitesse. Et puis, je vais sauter la deuxième. Et tiens, je vais dérailler en pleine ascension." Mais en gros, on en a fait de belles, tous les deux. L'air de rien, ça demande de l'attention, ces choses-là. On croit que tout est acquis et on ne fait plus d'efforts, jusqu'au jour où elle te claque entre les doigts et te plante sur le bord de la route. Non merci, je n'ai pas besoin de femme, j'ai déjà ce qu'il faut. Après ces instants poignants, je continue mon chemin jusqu'où j'aurais dû arriver hier, Nancy Lake, où je m'arrête dans un dry camping, c'est-à-dire sans douche. Il y en a beaucoup ici. Ce sont juste des camps entretenus par l'Etat dans lesquels la douche est visiblement un luxe dont on se passe. Je suis couvert de sueur, de crème solaire, d'anti-moustiques et de poussière. J'en ai trop besoin, le lac fera office de douche, froid ou pas. Je pique une tête devant les pêcheurs et tout compte fait, l'eau n'est pas si froide. Plus tard, je ferai un feu de bois pour éloigner les moustiques et pouvoir manger peinard sans me foutre des baffes. C'est pénible, même avec du répulsif car ils passent à travers les vêtements et ils arrivent toujours bien à trouver le centimètre carré de peau qu'on n'a pas enduit.
Le lendemain, il fait toujours aussi beau. On approche les 30°C. Oui, je suis en Alaska. J'ai beaucoup de chance car ce temps est exceptionnel. Je continue ma route sur la George Parks Highway, qui devient de plus en plus sauvage. J'ai droit à mon premier aigle royal qui vient planer à moins de 10 m au-dessus de ma tête. Impressionnant et majestueux! C'est la première fois que je vois un oiseau aussi grand d'aussi près. Ouais, à part au zoo, mais bon... En fin de journée, une voiture s'arrête devant moi et je vois sortir un gars que j'avais rencontré deux jours auparavant au camping. Il avait été un peu envahissant, tenant absolument à me dire où je devais aller et ça avait duré un peu trop longtemps à mon goût. Il avait l'air d'être en demande de contact social, alors qu'il était entouré de sa femme et de ses six gosses. Etrange...
Le revoici donc sur le bord de la route, s'avançant vers moi. Et il est ravi de me retrouver! De prime abord, je crains qu'il me retienne encore, mais très vite, ça me fait plaisir de voir à quel point il est heureux de me voir. Il me donne deux bouteilles d'eau glacée, un Snickers et, le meilleur, du saumon pêché et fumé par lui-même. En fait, il est carrément fier, fier de prendre part à mon aventure. "Tu te souviendras de moi, hein? Tu n'oublieras pas Ken Spain!" Finalement, il me touche, ce gars. Il a des paluches à foutre les jetons à un grizzly et une tonche d'ancien taulard mais il est comme un gosse face à moi sur mon vélo, tout impressionné. J'ai l'impression d'avoir illuminé sa journée. En tout cas, lui a illuminé la mienne et je repars gonflé d'énergie. Il m'a dit qu'on se recroiserait sûrement dans deux jours, vu qu'il n'y a qu'une route. Il me faudra une photo avec lui!
Le lendemain, les conditions sont toujours aussi bonnes mais je commence à sentir la fatigue. Sur le chemin, on peut enfin admirer le mont McKinley qui écrase tout de son immensité. J'ai beaucoup de chance, il paraît qu'on ne le voit pas souvent. Tiens donc...
Mont McKinley (6196 m) |
Plus tard, deux jeunes gars passent à ma tente et me tendent une bière: "On t'a vu seul avec ton vélo et on s'est dit que tu avais sûrement besoin d'une bière." Ils ont lu dans mes pensées. Et cette rencontre-là est très chouette! On parle de tout, d'Europe, d'Amérique, ils sont sur le cul de ce que je fais à vélo, on rit. La responsable du camp passe, ne me fait pas payer et reste papoter avec nous. Bref, je passe une très bonne soirée et leur compagnie m'a bien encouragé. Merci, les gars! Oh zut, avec tout ça, j'ai oublié mon Québecois... Pas de chance.
Je vais me coucher, mais avant ça, je réunis toutes mes vivres dans un sac que je vais mettre à quelques mètres de ma tente. Pas de nourriture dans la tente! Ici, on ne rigole plus, on est sur le terrain de jeu des ours. Bon, il ne faut pas s'inquiéter, l'ours ne chasse pas l'homme et très peu s'aventurent dans les campings. Mais ça peut arriver, s'il a très faim, qu'il sente notre nourriture à des kilomètres à la ronde et qu'il vienne se servir. Il vaut donc mieux éviter les surprises car c'est dans ces cas-là que ça pourrait se révéler dangereux, si l'ours est surpris et prend peur.
Le jour suivant, mon sac est toujours là, intact. Par contre, le soleil, lui, est parti et la pluie est arrivée. Le temps alaskien standard est revenu. Et avec ça, encore plus de moustiques! C'est une vraie calamité. N'étant pas très en forme et vu le temps, je traine dans ma tente, hésitant à rester là la journée pour récupérer. Mais il fait morne et triste et les moustiques m'empêchent de sortir de la tente et d'être relax. Je profite d'une accalmie pour me décider à bouger et je replie mes affaires, emballé dans ma moustiquaire.
A peine depuis 10 minutes sur la route, voilà la pluie qui revient. Et elle ne me lâchera plus pendant les trois heures suivantes. Quelle merde! En plus, je suis crevé et je n'ai pas le moral. Toute la journée sera pourrie. Je ne vois rien du paysage et je suis trempé car, même si j'ai mes vêtements de pluie, il fait trop chaud et je sue comme un bouc en-dessous. La route est monotone, les distances immenses. J'avale juste des kilomètres en me trainant, espérant que ça passe le plus vite possible. Je croise Ken, comme prévu, mais il fait tellement dégueu, qu'il ne traine pas et donc, pas de photo. Y a vraiment rien qui va. Après 65 km, au moment où la pluie se calme, je trouve un espace plat sur le bord d'une rivière où je décide de camper. Je n'en peux plus, j'en ai trop marre. Aucun plaisir aujourd'hui. Heureusement que j'ai pu me tremper dans le lac hier, car la seule douche que j'aurai aujourd'hui, c'est la drache. Au même endroit, cinq jeunes sont en train de mettre à l'eau un kayak et un raft. Il vont descendre la rivière pendant cinq jours. Je passe une heure avec eux à papoter pendant leurs préparatifs et ça me change les idées. Ils viennent du Colorado, juste où je compte terminer mon voyage, et me conseillent de passer à Fort Collins, où il y a neuf brasseries, dont la meilleure s'appelle The New Belgian Brewery. Terrible!
Le jour d'après, il fait meilleur et je me sens beaucoup mieux. Il faut dire que je me suis mis au lit à 20h et que je me suis levé à 11h. Je crois que j'en avais besoin. Même si j'ai beaucoup plus la forme, je n'en ferai pas moins une étape courte, sans forcer. Le paysage commence à varier et les forêts laissent tout doucement place aux plaines. La vue se dégage enfin. Je m'arrête à Cantwell, à 27 miles du parc Denali, mon but. Ce sera pour demain. Pour l'heure, je profite d'un petit resto pour m'enfiler un énorme burger et une soupe de montagnard. Que ça fait du bien! A l'heure qu'il est, je me suis posé dans le camping d'à côté, où je vais pouvoir prendre une douche. Quel luxe! Un écureuil vient me dire bonjour. Il est là, juste devant moi, à 3 mètres. C'est chouette de voir ces animaux sauvages qui se sentent chez eux et n'ont pas peur de nous. Tiens, je me demande quel goût ça a...
salut Ne! heureux que tu aies pu repartir. tu arrives en montagne, wouahh! je t'envie et t'accompagne en pensées. moi, c'est pour dimanche; je touche du bois. gros bisous à toi, aux ours et aux élans.
RépondreSupprimerDes bières et des ours ...
RépondreSupprimerLe continent américain va finir par te transformer en Nil
http://www.davekrnavek.com/images/beerBear01.JPG
Sinon quelle super aventure ! Je viens de dévorer ton récit d'une traite depuis mon retour de Spingouie. Vivement la suite !
Ahah terrible photo! :D
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