dimanche 2 décembre 2012


Cambodge - Direction Laos

Cela fait maintenant deux jours que j'ai quitté Siem Reap et que je roule sur la nationale en direction de Phnom Penh, la capitale, et, disons-le sans ambages, c'est tout bonnement insupportable. Cette route est abominable. J'y avais déjà passé trois jours entre la frontière et Siem Reap, mais à ce moment-là, j'étais plus focalisé pour tenir le coup entre mes accès de nausée et mes chutes de tension (souvenez-vous, ce mystérieux virus que la Thaïlande m'avait offert avant de la quitter) qu'à faire attention à la route. Mais maintenant que je suis bien retapé, mon esprit et mon corps peuvent être tout entiers consacrés à la contemplation du paysage... Qui est inexistant. Tout d'abord, la route est mortellement plate et droite. Aucune colline, aucun relief, aucun virage. Rien. De plus, les villages s'enchaînent interminablement en s'agglutinant le long de la route, n'offrant rien d'autre à la vue que des maisons s'enfilant comme les grains d'un chapelet, parfois séparées par des étendues inondées. Totalement lassant et monotone. Même pas de quoi prendre une photo. Mais le pompon, c'est le trafic. Vu que c'est la seule route qui traverse le pays, il est infernal et les gens conduisent comme des cochons.

En résumé, je suis sur mon vélo en train d'avaler bêtement les kilomètres sur une route des plus déprimantes qui soit, avec rien à voir et sans cesse dépassé par des chauffards qui me klaxonnent dans les oreilles en me frôlant dangereusement. C'est tout sauf agréable et je n'y prends vraiment aucun plaisir. Je pense que cette route remporte la palme de la plus emmerdante que j'ai empruntée lors de tous mes voyages à vélo. Il faut que j'arrête avant que ça ne devienne un supplice et que mon mental ne jette l'éponge, surtout que le soleil torride qui tape n'aide pas à se rafraîchir les idées. C'est vraiment dur. J'arrive donc à Kampong Thom après 150 km de pur bonheur et clairement décidé à prendre un bus pour parcourir les 200 km qui restent pour rallier Phnom Penh.

Je me dégotte donc le lendemain un mini-van bondé à craquer de Cambodgiens qui accepte de m'emmener avec mon vélo attaché à l'arrière. C'est comique. Du vrai, du folklorique. Je suis content d'avoir pris cette décision, ne fût-ce que pour l'expérience, assez inconfortable soit, mais plutôt sympathique. Ce type de transport, organisé par des privés tout sauf officiels, est très en vogue ici et sert aux gens à se déplacer sur de longues distances tout en transportant leurs effets personnels, qui vont de tout à n'importe quoi. Il y en a même qui transportent leur vélo, dis donc. Pendant le trajet, le chauffeur nous offre le luxe d'une petit télé qui beugle en diffusant en boucle une alternance de clips musicaux à deux balles sous-titrés en khmer pour du karaoké dans lesquels une poupée, visiblement star nationale que tout le monde adore, pleure toutes les larmes de son corps son amour perdu, et des passages d'une merveilleuse production cinématographique que mes compagnons regardent, bouche bée et tendus comme des strings par le suspense insoutenable, j'ai nommé l'incontournable Sharktopus (cliquez sur le lien, c'est de la balle).

Plus on avance, plus la route est défoncée et en travaux et plus le trafic est infernal. A m'imaginer pédaler là-dedans, j'en suis encore plus satisfait d'avoir décidé de raccrocher mon bexon pour poser mes fesses dans ce mini-van. Ainsi, après 5 heures de conduite effrénée à se frayer un chemin à coups de klaxon entre les autres véhicules et en rebondissant dans tous les trous dans un nuage de poussière, le chauffeur nous dépose en plein centre de la capitale au crépuscule. Je me trouve immédiatement une guesthouse où je me pose.

J'avais pensé passer un mois dans ce pays en attendant d'aller rejoindre Poup au Vietnam le 17 décembre, mais je me rends compte, après y avoir déjà passé 10 jours, que c'est beaucoup trop. Il me reste deux semaines et demie avant de pouvoir entrer au Vietnam et le maigre réseau routier cambodgien n'offre pas énormément de possibilités de sillonner le pays allègrement à vélo pendant tout ce temps. Du moins à mes yeux, car bouffer de l'asphalte et de la poussière dans les conditions décrites ci-dessus, je pourrais encore le faire, mais non merci, j'ai donné et bien tenté l'expérience. Il y aurait bien les routes secondaires, mais aucune carte n'existe les recensant sérieusement et pas moyen de savoir où elles sont ni où elles vont exactement. Je pense alors d'abord à me diriger vers la côte, mais abandonne assez vite l'idée car j'ai besoin de bouger, de voir de la nature, et non d'aller me les rouler dans le sable blanc pendant deux semaines. Il me reste donc une possibilité: aller voir ce qui se passe au Laos. Suite à mes changements de plans imposés par ma convalescence en Thaïlande, j'avais remisé le Laos de côté pour plus tard, mais vu les circonstances actuelles, il se rappelle finalement à moi plus tôt que prévu. D'après mes renseignements, les routes sont très peu fréquentées là-bas et les paysages bien plus intéressants. De plus, et pour ne rien gâcher, la route cambodgienne qui mène au Laos traverse la région la plus sauvage du pays, également peu fréquentée, tout en remontant le Mékong. Tout cela n'est qu'hypothèses mais me dresse un portrait assez engageant de la chose et je décide donc très vite de tenter le coup et de bifurquer vers le nord, direction le Laos. J'ai soif de vélo en pleine nature et j'espère que je pourrai l'exercer là-bas. Et puis, je pourrai toujours essayer de prendre des bus pour faire certaines parties si ça me chante. De toute façon, il faut que je bouge et que j'aille ailleurs.

Et j'ai tellement besoin de bouger que je ne prends même pas la peine de visiter Phnom Penh et décide de quitter la ville dès le lendemain de mon arrivée. Je pourrais y passer un ou deux jours à visiter les quelques monuments et temples qui s'y dressent, tant que j'y suis, mais cela raccourcirait par la même occasion mon temps disponible au Laos. Je dois donc prendre une décision. Et puis, les villes avec leur cohue bordélique, ce n'est pas ce qu'il me faut pour le moment. C'est tout décidé. J'essaie donc de choper à nouveau un bus afin de sortir de la ville et de me rapprocher du nord en me rendant directement à Kampong Cham, dernière grosse ville avant les contrées plus rurales. Du moins, c'est là-dessus que je compte. Malheureusement, les lignes de bus régulières chicanent avec mon vélo en me prétendant qu'il est trop grand pour le transporter. Ah, cette mauvaise foi qu'on rencontre particulièrement dans les villes face aux officiels qui n'ont pas très envie de t'aider dès que tu leur demandes un truc qui sort des sentiers battus. Comme à la gare des trains de Bangkok, on me laisse tremper dans ma merde sans aucun scrupule ni envie de m'aider. "T'as qu'à revendre ton vélo.", qu'on me dit. Ben tiens, la bonne idée que voilà. Sur ce, un conducteur de tuk-tuk qui trainait par là, toujours aux aguets d'un client potentiel, entend la conversation et vient, dans un excellent anglais, me demander ce que je veux. Je lui explique mon plan et mon problème de vélo dans le bus. Qu'à cela ne tienne, il a un pote qui a un cousin qui un pote qui a une "compagnie", et on peut arranger ça. "Viens, suis moi." Je n'ai rien à perdre, il m'a l'air bien sympathique et a surtout le désir inestimable de vouloir m'aider, ce qui fait que je suis son tuk-tuk dans les rues de la ville, slalomant à son exemple entre les voitures et les motos. Il m'amène ainsi devant un mini-van pareil à celui d'hier, rempli à craquer de Cambodgiens et bien disposé à m'emmener avec mon vélo jusque Kampong Cham. C'est bizarre, plus le bus est petit, moins les gens ont de problèmes de place et d'encombrement. Il y a toujours bien moyen de caser un truc. C'est parfait pour moi et j'embarque pour un deuxième tour de manège sur la route défoncée et poussiéreuse, assis au milieu de mes compagnons et de sacs de riz. Ces gens conduisent vraiment comme des chauffards. Quand je pense qu'il suffirait de leur enlever le klaxon pour les obliger à conduire un peu plus prudemment. Ca me fait rêver d'un monde meilleur où tout le monde serait calme et fair play sur la route. Le pire, c'est qu'ils arrivent tous à dormir autour de moi, avec leur tête qui ballotte dans tous les sens au rythme des trous dans la route.

Après trois heures de rallye, arrivée à Kampong Cham. Première constatation: durant mes jours de vélo sur la nationale infernale, non seulement il n'y avait pas matière à prendre de photos, mais j'ai tout de même réussi à semer mes deux batteries de rechange sur la route. Fait chier, il faudra que je fasse gaffe maintenant. En tout cas, c'est clair, il fallait vraiment que je parte de là. Je me rends ainsi le long du fameux Mékong afin d'y trouver une guesthouse pour la nuit et sa vue me ravit immédiatement. C'est beau, tranquille, serein et le soleil couchant colore superbement le tout. Allez, c'est bien parti, tout ça!

 


Le lendemain, je me lève à l'aube, fermement déterminé à aller engloutir du kilomètre sur les petits chemins qui remontent le Mékong. J'ai à peu près 90 bornes pour rejoindre le prochain bled où je pourrai trouver de quoi dormir et je veux profiter le plus possible des heures matinales les moins torrides. Pour cela, quoi de mieux qu'un magnifique lever de soleil pour commencer la journée. C'est juste... Waow!


Après avoir fait le plein de flotte, je traverse le pont pour aller chercher la route sur la rive est. Je sais que c'est un chemin de terre et j'ai du mal à le trouver. Finalement, je m'engage sur un sentier qui est de plus en plus impraticable, témoignant de la fin récente de la mousson en étant toujours inondé par endroits et m'obligeant à patauger dans la gadoue. Cinq kilomètres comme ça et je suis dégueulasse. Je commence à douter de ma route car je ne me vois pas parcourir 90 bornes de la sorte, d'autant plus que le chemin ressemble de plus en plus à un sentier pour vaches pour disparaître presque complètement un peu plus loin. Me serais peut-être bien gouré, moi ici. J'avise un vieux fermier et lui signifie mon désir de continuer en lui pointant la direction du doigt. Il me montre alors un fossé rempli d'eau, ladite direction, fait un X avec les bras puis met la main en travers de sa jambe à mi-cuisse. Je ne parle pas khmer, mais ça me paraît plutôt vachement clair: à moins que je ne veuille exercer mes nouveaux talents de plongeur sur mon vélo, je dois rebrousser chemin. Merci monsieur. Moi qui voulais de l'aventure, me voilà servi.

Une heure plus tard, je suis de retour à la case départ avec en bonus 20 km de sentier boueux dans les guibolles. Heureusement que j'avais prévu un départ tôt afin d'arriver en début d'après-midi, cela m'aura au moins laissé de la marge pour pouvoir me planter de route car j'ai toujours assez de temps. Il est maintenant 9h, il fait déjà pétant de chaud et je tombe sur un homme parlant anglais qui m'explique que non, la rive est, il faut l'éviter. Je l'ai vu à mes dépens. Il faut prendre la rive ouest sur une route goudronnée pendant 20 km, puis une route de terre pendant 10 km, puis on embarque sur un ferry pour traverser le Mékong, et seulement là on peut continuer sur la rive est. Fort de ces renseignements valant de l'or, je reprends ma route, du bon côté cette fois.

Et c'est du pur plaisir. Je parcours une petite route de campagne toute calme en longeant des villages charmants et des plantations dans lesquelles les gens travaillent. Enfin! J'ai enfin le sentiment profond de parcourir le Cambodge avec sa nature et ses scènes de vie. Je suis ravi et accompagné tout le long par les "Hello!" des nombreux enfants qui sortent de partout. Il n'y a pas à dire, les gens d'ici ont bien entrepris le repeuplement de leur pays depuis la fin de la guerre. Il n'y a que des gosses. Je ne me trompe sûrement pas de beaucoup en avançant que la moitié de la population cambodgienne doit avoir moins de quinze ans. Bon, peut-être pas quinze, mais vingt sans problème.







Puis, comme promis, vient la route de terre. C'est là que j'avise un escalier s'élevant au-dessus de ce qui doit être la seule bute à des centaines de kilomètres à la ronde. Et qu'est-ce qu'on y fait, quand on a la chance d'avoir un sursaut du relief? On y érige un temple, bien entendu. Je gravis donc les marches pour arriver au pied de plusieurs temples, mais surtout à un point de vue absolument magnifique sur le Mékong. Terrible! Jusqu'ici, mes changements de plan me comblent, c'est parfait.







Cette partie de la route sur chemin de terre est encore plus pittoresque. Ce n'est pas toujours évident de pédaler à un bon rythme entre tous les cahots et dans la poussière soulevée par les rares véhicules qui passent mais le plaisir est là. Pratiquement aucun trafic, une jolie nature et un bon sentiment d'aventure.





Puis, exactement où le monsieur me l'avait annoncé, vient le passage du Mékong en ferry.



Et me voilà de retour sur cette fameuse rive est sur laquelle j'avais tenté de m'aventurer en début de journée. Cette fois, il y a bien une route, toujours en terre soit, mais bien praticable. Pour le coup, je m'affuble de mon attirail de pirate du désert en guise de protection contre le soleil impitoyable et la poussière. En effet, inutile de compter sur l'écran solaire, il fait bien trop chaud et la transpiration le fait ressortir complètement, me laissant sans protection contre les rayons brûlants. Je l'ai appris lors de mon odyssée sur la nationale infernale en chopant des cloques sur les bras et les lèvres. Assez douloureux. Le soleil d'ici ne fait pas de cadeau. Pas d'autre solution que de me couvrir complètement si je ne veux pas ressembler à un poulet rôti.


Après 110 km, j'arrive à destination dans le village de Chhloung où je me trouve une petite guesthouse bien sympathique pour récupérer de ma journée qui est de loin la meilleure que j'ai passée depuis mon entrée au Cambodge. Tout ce que j'aime. Génial! Il a fait très chaud et j'ai dû boire 6 litres dont un de Coca (ils ont vraiment réussi à s'implanter partout, ceux-là, et dans mon cas, j'en suis bien heureux) mais c'est un excellent début qui ne peut que me confirmer que j'ai bien fait de changer de plans. J'espère que la suite de la route sera tout aussi agréable jusqu'au Laos et au-delà de la frontière.


6 commentaires:

  1. Je me faisais une idée du Cambodge un peu plus poétique que ce que tu en as vu. Comme quoi, les idées reçues.....Va donc pour le Laos. En attendant la Birmanie?? Bisous

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  2. Le Cambodge se relève seulement du génocide des Kmers rouges,ceci doit expliquer une politique de repeuplement.Sous le soleil cuisant j'imagine que tu dois transpirer énormément.Bois en suffisance de l'eau potable et saine! La traversée du Mékong:superbe!

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  3. Extra les routes au Cambodge!!!Bonne suite et bises!

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  4. J'attends de tes nouvelles avec impatience!J'ai hate à lire ton prochain récit!Bises et toi et bonne route!

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  5. Salut Valéry, je reprends la lecture de ton blog ; il m'a fallu une petite soirée pour ratrapper mon retard. Toujours aussi passionnant, très bien écrit, et j'adore la description des endroits non touristiques ! J'espère que tout va bien, donne-nous vite de tes news...

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  6. Allez mon poulet moi aussi j'ai rattrapé mon retard et vraiment j'ai l'impression de suivre un épisode des carnets du bourlingueur grace à ta belle plume ;0) passe de bonnes fêtes a+ dans le bus ... mais pas un bus cambodgien ha haha ha

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