jeudi 15 novembre 2012


Thaïlande - L'authentique

J'embarque sur le bateau de nuit pour quitter Koh Tao, des souvenirs de plongée plein la tête... Et des litres de Chang plein le bide. J'éprouve à la fois un petit pincement au cœur de quitter mes nouveaux potes et une vive excitation face au nouveau chapitre qui s'ouvre devant moi. Il est 23h et il est prévu qu'on arrive à Chumphon sur le continent à 5h. J'avais espéré pouvoir me reposer un minimum, mais malgré des couchettes confortables installées dans un grand dortoir, le bruit du bateau m'empêche de dormir et je ne parviens qu'à somnoler. 4h30, on est déjà arrivé. Il fait bien entendu toujours nuit noire et je m'affale sur un vieux transat pourri qui traine sur le port en attendant le lever du soleil à 6h. Je somnole encore une fois tant bien que mal pour finalement me résigner à m'activer à 6h30. Je suis dégommé. Après une nuit pareille, autant dire que je n'ai pas trop la patate. Il faut que je mange quelque chose. Je prends alors conscience en regardant autour de moi que j'ai débarqué dans la vraie Thaïlande, l'authentique, pas celle dans laquelle je viens de passer 3 semaines et qui s'est adaptée aux touristes occidentaux. Non, la Thaïlande profonde et rurale. C'est génial, car je vais enfin voir le "vrai" pays, mais également un peu flippant car rien n'est désormais plus fait pour m'aider. Rien. Et là, je me sens vraiment tout seul perdu dans un autre monde.

Je rassemble mes esprits et avise juste de l'autre côté de la route un petit magasin avec une dame qui fait cuire quelque chose. Je m'approche et elle soulève le couvercle de sa casserole pour me montrer une espèce de mélasse de riz avec des trucs dedans. On dirait de la colle à tapisser mal mélangée. D'accord, goûtons. Elle y ajoute alors des machins et des bazars et je me retrouve avec un joli bol de je ne sais absolument pas du tout quoi. C'est parfait. J'attaque ma pitance et, bien évidemment, c'est bon. Un peu surprenant au début car c'est pas mal poivré et s'envoyer ça si tôt au saut du transat, c'est un peu dur, mais après quelques bouchées, ça passe tout seul. Vraiment très bon, comme toujours. Je lui achète ensuite un régime de bananes et je suis fin prêt pour prendre la route. Sauf que je n'ai pas de carte routière et ne sais pas par où aller... Je sais que je dois remonter vers le nord en suivant la côte, mais cela ne m'aide pas pour l'instant car aucune route ne longe la plage et la mer est presque tout le temps cachée par la végétation. Et ici, vu le nombre de routes, chemins et sentiers, il y a bien moyen de se perdre. En fait, je me rends compte que je suis vraiment paumé. Personne ne parle un mot d'anglais et le seul truc que j'ai, c'est quelques notes prises au vol sur le numéro des routes que je dois prendre pendant les quarante premiers kilomètres jusqu’à un bled nommé Pathio. Puis, plus rien. Heureusement que les chiffres sont les mêmes que les nôtres car tout est bien sûr indiqué en thaï, dont ma maîtrise de l'alphabet comporte toujours quelques lacunes. Deuxième chance, les noms des villes sont parfois traduits en anglais sur les pancartes. Vu l'inconnu total dans lequel je débarque, ce n'est pas du luxe. Là, c'est la vraie aventure. Je démarre donc vers... Euh... Par là. Il est 7h30 et le seul réel repère que j'ai est le soleil que j'essaie de garder à ma droite. Pour le moment... Et c'est reparti sur mon vélo!


Le long de la route, plein de petites échoppes vendent diverses choses à manger. A priori, difficile de mourir de faim. La température est idéale à cette heure-ci et je parviens finalement assez bien à trouver mon chemin en repérant les numéros de route et surtout en demandant une bonne douzaine de fois confirmation aux gens en tâchant de ne pas trop écorcher les noms. Le trafic est assez léger, peu de voitures, la grande majorité des véhicules étant des scooters. Pas un seul vélo, je suis le seul.


Ainsi, après deux heures et demie, j'arrive à Pathio et n'ai maintenant plus aucune idée de la route à suivre. Je trouverai bien un moyen. En attendant, je traverse le village en vivant ce moment comme mon plus grand choc culturel, tous voyages compris. J'arpente lentement les rues en regardant autour de moi sans rien comprendre à ce qui se passe. Je suis complètement largué, incapable de dire si ce que je vois est un magasin, un restaurant, une habitation ou quoi que ce soit. Tout est en extérieur et les gens vaquent à leurs occupation en me regardant passer. Ils n'ont pas dû en voir beaucoup des comme moi dans le coin. Intrigué et amusé, tout le monde me sourit et c'est très vite l'échange que j'ai avec toute personne croisée: le sourire. Certains rient carrément en voyant me voyant débarquer à vélo. Mais si je me sens totalement décalé et paumé, je me sens avant tout le bienvenu. C'est gai.

Il est maintenant 10h et il fait très chaud. J'ai faim et me décide à m'arrêter devant ce qui me semble être un marché couvert. Une dame à scooter s'approche alors et me demande en anglais si j'ai besoin d'aide. Mais à quoi a-t-elle bien pu voir que je ne suis pas d'ici? Je bégaye, surpris et ne sachant pas trop quoi répondre. J'ai envie de lui dire: "Oh oui, j'ai besoin d'aide pour tout." Finalement je lui dis que j'aimerais savoir où je peux dormir dans les environs car vu l'allure des villages, ça va être beaucoup plus difficile à trouver que ce que j'imaginais. Elle ne sait pas et me demande où je veux aller. Je ne sais pas. Par là, au nord. Je ne l'aide pas beaucoup à m'aider et ça me gêne un peu. On tourne en rond. Elle me dit alors de la suivre, elle me mènera à la route qui suit la côte, qui est peu fréquentée et jolie. Excellente idée, c'est toujours ça de pris! Sur ce, je pense à lui dire qu'avant tout j'ai besoin de manger. "Hamburger ou riz?", me demande-t-elle. Du riz, bien sûr. Elle me scrute pendant deux secondes en réfléchissant. "OK! Suis-moi jusque chez moi, tu pourras acheter à manger." Ca y est, ça recommence. A peine remonté sur mon vélo, je rencontre à nouveau des gens gentils avec moi. C'est magique!

Je suis ainsi ma sauveuse pendant cinq minutes jusque chez elle où une échoppe et quelques bancs accueillent des gens qui mangent. C'est visiblement un petit commerce de restauration, mais je n'en suis pas plus sûr que cela. Les gens présents, habitués, famille, amis ou que sais-je, mais qui se connaissent clairement tous, me fixent, l'air de dire: "Mais d'où il sort, celui-là?" Je leur sors alors dans leur langue un des deux seuls mots que je connaisse: bonjour. L'effet est immédiat, ils me répondent avec engouement et commencent alors à me poser des questions en thaï que mon hôtesse traduit. Pendant ce temps, on me sert une assiette de riz avec une omelette. Le plat est simple et efficace. Délicieux. Je leur explique un peu mon voyage tout en mangeant et ils sont littéralement sciés qu'un gars comme moi vienne trainer à vélo dans leur campagne. Et ça les fait rire. Vu qu'on en est à parler voyage, je leur demande naïvement s'ils voyagent aussi. Et là, c'est l'éclat de rire général. "Oh non, on est né ici et on vit ici." D'ailleurs, quand je pose une question sur la ville vers laquelle je me dirige, située à 60 km, elle me répond que seul son frère y est allé une fois et pourra me répondre. Moi qui pensais demander des renseignements aux gens sur la route, me voilà fixé. Une tout autre réalité. Entretemps, je reprends un deuxième plat, j'ai vraiment la dalle. Mais le meilleur moment reste quand elle me demande si j'ai une carte routière et que je lui dis non. Ils se concertent, l'une deux enfourche son scooter et s'en va en ville pour me ramener cinq minutes plus tard un atlas routier de tout le pays. Je n'en crois pas mes yeux. Je n'aurais jamais trouvé ça tout seul ici. L'un d'eux essaie alors de me montrer la route à prendre et je réalise qu'il n'a pas dû souvent consulter de carte. Il arrive avec peine à trouver où on est. De plus, petit détail assez logique mais auquel je ne m'étais pas attendu: tout est écrit en thaï et il m'est impossible d'identifier le moindre nom de ville. Ceci dit, l'orientation des routes avec leur numéro ainsi que le dessin de la côte pourront m'aider à me situer et à m'orienter. C'est déjà ça, j'ai au moins un support. Je leur rembourse l'atlas, paie mon repas, les remercie chaleureusement pour tout et reprends la route, soulagé et n'en revenant toujours pas d'avoir une carte pratiquement tombée du ciel. Ces gens ont vraiment été très gentils et m'ont ôté une fameuse épine du pied. Très touchant.

Il fait maintenant torride, la chaleur est étouffante. Avec plus de 90% d'humidité relative, il doit faire 40 °C. Je me déverse littéralement par tous les pores, je goutte. J'ai heureusement 6 litres d'eau avec moi et j'en aurai bien besoin. De plus, le relief est bien vallonné et mon cœur pompe à toute allure tellement il fait chaud. C'est la première fois que je pédale dans des conditions pareilles et ce n'est pas facile. La route que je suis maintenant est très peu fréquentée, je suis pratiquement seul au milieu des forêts tropicales luxuriantes, parfois dépassé par un scooter ou une voiture qui s'écarte bien de moi. J'apprécie beaucoup l'attention. Je continue parfois à demander ma route aux gens et lorsque je leur sors le deuxième mot magique que je connais dans leur langue, à savoir merci, ils resplendissent et m'accompagnent jusqu'à mon vélo en me faisant de grands signes. D'autre fois, j'essaie de faire correspondre des noms que j'ai sur ma carte avec ceux inscrits sur les panneaux, mais l'alphabet est trop complexe et c'est peine perdue. Je n'identifie rien et j'ai l'impression d'essayer de faire correspondre deux pièces de puzzle. Mais j'ai beau ne pas trop savoir où je suis, me liquéfier sur place et rôtir au soleil, cette nature est magnifique et le sentiment de liberté est total. Quel bonheur! Je longe la magnifique Baie de Thung Maha où les mangroves bordent les rochers sortis de l'eau. Splendide!




Les gens que je croise me sourient tous ou me crient des "Hello!" empressés, interrompant parfois leur conversation. Certains même me le crient alors qu'ils sont dans leur maison et que je ne les ai pas vus. Des jeunes me suivent parfois en scooter pour me saluer en riant puis font demi-tour. Je les sens désireux à la fois d'avoir un contact, fût-il furtif, avec cet étranger qui passe et de profiter de l'occasion pour mettre en pratique ce seul mot d'anglais qu'ils connaissent. Cela les ravit. Et moi aussi. Malheureusement, si j'essaie de leur parler, la barrière de la langue est là et c'est impossible. Alors on rit, on se salue et je m'en vais.

Seule rencontre négative, mais assez conséquente et récurrente: les chiens. Ils pullulent. Il y en a des dizaines et des dizaines le long de la route, la plupart errants. Heureusement qu'ils sont en général à l'image de ce pays, calmes et relax, mais un petit pourcentage, ce qui au final en fait pas mal vu leur nombre très élevé, réagit tout de même comme le fait un clébard débile à la vue d'un cycliste: il me course en aboyant. J'ai jusqu'ici toujours réussi à gérer le truc et à les calmer en leur parlant doucement quand ils se rapprochent, mais c'est à chaque fois méga flippant. Le pire, c'est que dès que j'en vois un sur la route, je me dis: "Aïe! Qu'est-ce qu'il va faire?" C'est lourd. Vraiment très lourd car je me stresse à chaque fois et me dis qu'il arrivera bien un jour où l'un de ces idiots m'attrapera le mollet et me fera tomber. J'espère que je m'y habituerai car ça enlève pas mal de plaisir au parcours quand ça arrive. Et ça arrive beaucoup trop souvent. Ils s'y sont même mis une fois à trois molosses sur moi. J'ai vraiment eu les jetons et heureusement que les gens sont intervenus en gueulant pour les calmer. Fait chier.

J'avais prévu d'y aller mollo pour ma reprise à vélo, mais le manque d'infrastructures pour passer la nuit m'oblige à toujours aller plus loin et finalement, je m'arrête après 110 km. Pour une première journée, de plus sous 40 °C, je le sens passer et suis complètement lessivé à l'arrivée. Mais je n'ai pas eu le choix. Hors de question de camper sur la plage avec tous ces clebs à moitié sauvages qui rôdent et s'excitent à la tombée du jour. Je préfère encore les ours, tiens.

Le lendemain, il pleut, mais c'est agréable et rafraîchissant après l'étuve d'hier. C'est là que je croise un cycliste allemand qui vient d'Inde et va en Indonésie. C'est comique, ici, seuls en plein milieu de nulle part et on arrive à se croiser.




Je passe ainsi quatre jours à avancer le long de criques et de baies désertes et à passer la nuit dans des petits bungalows le long de plages totalement préservées et vides. Pour un sentiment de bout du monde, c'est l'idéal. Ce n'est au début pas très facile de les trouver car il y a juste une pancarte indiquant des bungalows à louer à quelques kilomètres et puis, plus rien. En fait, je passe devant sans les voir car ils sont dissimulés dans les arbres et confondus aux habitations de bois et rien ne montre qu'on est arrivé à destination. Il faut avoir l’œil.





Les routes sont dans un état impeccable, c'est vraiment remarquable. Un réel plaisir pour le vélo. Je traverse aussi des plantations de cocotiers qui, secoués par le vent, larguent parfois devant moi une noix qui s'éclate au sol dans un grand fracas. Ca aussi, c'est un nouveau truc que j'apprends très vite: ne pas trainer sous un cocotier, il y a de quoi se faire défoncer le crâne. Si Newton avait été Thaï, il ne l'aurait jamais trouvée, sa loi. Raison de plus pour porter le casque en roulant.



Au fil des jours, je trouve de plus en plus mes repères dans ce nouvel univers et les choses m'apparaissent plus familières. Je m'adapte assez vite. Pour la nourriture, je trouve toujours bien des petites échoppes où ils me font du riz avec des légumes et du poulet en ayant le sourire jusqu'aux oreilles. C'est super bon, ça cale bien et j'en prends parfois une barquette à emporter pour plus tard.



A présent, je prends le train pour terminer ma route vers Bangkok. Non seulement je veux, comme d'habitude, éviter l'enfer et les dangers du trafic à l'entrée de la ville, mais j'aimerais aussi y passer trois jours alors que mon autorisation de séjour arrive à expiration dans cinq jours. Je dois donc abréger et j'ai choisi le train de nuit qui me déposera en plein centre de Bangkok à 5h du matin. Après ces quelques jours en pleine nature, je pense que le contraste va être assez marqué. En tout cas, cette petite incursion dans la Thaïlande profonde était merveilleuse, les gens sont adorables. Vivement que j'y revienne de manière plus approfondie.



1 commentaire:

  1. salut Border. Pas facile le slalom entre les clébards et les noix de coco! Encore heureux que les routes soient bonnes! Ton prochain gueuleton: riz, légumes, poulet... tu paries? tu vas de plus en plus te rapprocher de Border avec son éternel dal bat. Tu vas peut-être finir par ne plus aimer la Duvel!
    Tiens, si ça peut t'aider, "pas trop épicé, s.v.p." en thaï, se dit: ไม่เผ็ดเกินไป s.v.p.
    Fais le plein de sourires, c'est l'idéal pour le moral! Bisous


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