mardi 16 octobre 2012


Népal - Le Sanctuaire des Annapurna (1)

Nous voilà donc à l'aéroport domestique pour nous envoler vers Pokhara. Après un contrôle de sécurité très sommaire où on se fait palper les poches et le reste par un gars qui chante en souriant, on décolle en compagnie de deux autres passagers dans un avion d'une vingtaine de places. Rien que pour nous. Le vol, à l'image de tout le reste, est très cool. L’hôtesse s'assied à côté de nous et je prends place juste derrière le pilote pour pouvoir l'observer. Génial! Ca me donne envie de piloter. Surtout dans ce paysage. On survole la vallée verte en longeant l'Himalaya immense et tout blanc dans le fond. Superbe contraste.

Vue d'avion sur le Dhaulagiri (8167 m) et l'Annapurna I (8091 m)
Arrivés à destination, on fait connaissance avec notre porteur, dont je suis pour le moment encore incapable de comprendre et retranscrire le prénom. On n'avait pas l'intention de se faire accompagner d'un porteur, mais lors de la demande des permis dans une agence de trekking, le gars nous a expliqué qui si on voulait faire le trek seuls, on devait nous-mêmes aller à l'administration. En effet, le gouvernement népalais oblige de plus en plus les agences à engager un porteur pour les treks, ce qu'elles nous incitent à faire en nous facilitant l'obtention du permis. Il nous suffit de leur laisser photos, copies du passeport et argent, et les permis sont déposés quelques heures plus tard à l'hôtel. On s'est donc incliné, n'ayant pas envie de passer notre temps dans les bureaux de Kathmandu. On a mieux à faire.

Présentations donc avec notre nouvel ami qui, ô surprise, arbore un sourire éclatant et est d'une gentillesse qui nous conquiert immédiatement. Déjà que je n'avais pas besoin de ça pour me sentir mal à l'aise à l'idée de faire porter mes affaires par un local... Mais bon, je dois l'accepter car c'est comme ça que les choses se passent ici. C'est juste leur mode de transport en montagne qu'ils mettent à la disposition des touristes pour gagner de l'argent et ils en sont bien contents. Ceci dit, je garde quand même pratiquement toutes mes affaires dans mon sac à dos après lui avoir demandé discrètement si sa charge est convenable. D'une part, je ne pourrais pas le voir porter mon sac à ma place en me promenant les mains dans les poches et d'autre part, j'ai envie de faire mon petit trek dans l'esprit, avec mon sac sur le dos. Finalement, il n'a pas énormément à transporter et c'est parfait pour lui, il a l'air ravi (ces gens qui sourient tout le temps...) On peut maintenant partir tous les trois avec le taxi qui nous a chopés à l'aéroport pour une grosse heure de route dans la vallée au milieu des rizières, puis dans les collines vers le point de départ du trek. C'est chouette, ce sont mes premières scènes de vie rurale. Très différent du chaos de Kathmandu. On est dans un autre monde.



Et c'est parti pour 10 jours de marche en montagne! Deux minutes plus tard, je suis trempé... Quelle lourdeur! Il fait 35 °C, pas mal humide, et la sueur ruisselle le long de mes bras pour goutter du bout de mes doigts. A ce rythme-là, mes deux litres d'eau potable vont vite y passer. On évolue dans un paysage à la végétation luxuriante en traversant de tout petits villages faits de maisons parfois très rudimentaires dans lesquels les gens ont l'air de vivre paisiblement, bien que très pauvrement. Ils n'ont rien et vivent de manière très archaïque dans la crasse, mais se marrent et vaquent à leurs occupations quotidiennes. C'est très paradoxal, mais on ne les sent pas malheureux, même si certains doivent l'être. Et les femmes ont toujours des habits tellement colorés que ça égaie encore plus le tout.





Après trois heures d'ascension de plus en plus raide, on s'arrête dans une maison d'hôte pour y passer la nuit. Après nous être installés dans notre petite chambre et avoir pris notre douche, c'est l'heure de l'apéro et on sort les deux Duvel d'inauguration du trek que mon père a transportées depuis la Belgique et que j'ai ensuite respectueusement portées sur mon dos. Elle est encore meilleure dans ces conditions! Le porteur nous rejoint, me répète son prénom que je ne retiens toujours pas et on essaie d'entamer la conversation. Il parle très mal anglais dont il ne connaît que quelques mots rudimentaires prononcés très mal, mais à force de répétitions et de mimes on parvient à le comprendre et à nous faire comprendre. Du moins, à peu près. Il nous explique ainsi qu'il fait une bonne vingtaine de treks par an. C'est son seul job et il est ravi d'avoir ainsi du travail car il a une femme et trois enfants aux besoins desquels il doit subvenir. Sur ces bonnes paroles qui font s'envoler mes derniers scrupules, on lui propose de goûter notre merveilleux breuvage. Il hésite, visiblement craintif mais finit par accepter. Je lui verse alors un centimètre de Duvel dans un verre, qu'il parvient péniblement à terminer en trois gorgées timides ponctuées de "Oh! Hard!", les yeux écarquillés. Ils s'est visiblement forcé, le pauvre. Quoi qu'il en soit, nous voici à présent unis par des liens plus forts que ceux du sang et ce sera ensemble que nous bouclerons ce trek.


notre ami porteur à l'essai

Le lendemain, on démarre à 8h après avoir ingurgité un déjeuner composé d’œufs et de pain gurung. Un régal, on dirait un peu du beignet. L'étape est ardue car on un escalier presque vertical d'à peu près 5000 marches, généralement de 50 cm de haut, à gravir. C'est dur, mais je suis en super forme grâce à mes trois mois à vélo et je me sens bien. C'est pourtant particulièrement difficile car on est en plein soleil et ça tape, mais j'apprécie vraiment l'ascension et monte à bonne cadence. Mes deux compagnons me rejoignent un peu après et, à la fin de la journée, on a gravi 1300 m. Un bon début. On est déjà à 2800 m.





La maison d'hôte de ce soir à Ghorepani est remplie car c'est l'endroit touristique accessible en quatre jours de trek, duquel on peut admirer la chaîne des Annapurna. Autant dire que c'est fréquenté. Le but du jeu est de grimper sur Poon Hill, 300 m plus haut, pour pouvoir profiter du panorama lors du lever du soleil sur les sommets de 8000 mètres. Lever donc le lendemain à 4h30 pour démarrer à 5h et arriver au sommet de Poon Hill à 6h. C'est tôt! Il va sans dire que c'est la cohue, vu que c'est le but de tout le monde qui vient ici, et l'ascension se fait pratiquement en file indienne. Pas génial, mais la grande majorité de ces gens nous laisseront bientôt tranquilles pour la suite du trek. Après une heure d'ascension, on arrive au sommet. La vue est grandiose. Petit à petit, la brume matinale se disperse pour laisser place à la lumière. Les sommets s'illuminent en premier, puis, tout d'un coup, le soleil surgit de derrière les montagnes comme une balle de tennis et la chaîne s'embrase. Ca va très vite et à 5 minutes près, on manquerait le spectacle. On est à 3200 m et se dire que le sommet des montagnes qu'on voit est à 5 km plus haut est étrange car elles paraissent accessibles et pas si haut que ça. En fait, elles sont tellement énormes qu'elles faussent toute perspective et il est impossible de réaliser qu'on a des sommets de 8000 m devant soi.

Dhaulagiri (8167 m)






Après une heure là-haut à admirer l'immensité et les changements de couleurs, on redescend pour déjeuner et seulement démarrer l'étape. Immédiatement, on regrimpe les 300 m de tout à l'heure, mais de l'autre côté de la vallée. C'est encore blindé et je passe mon temps à faire mon chemin en dépassant tout le monde. Heureusement, l'étape de ce soir sera le dernière qu'on aura en commun avec tous ces gens car c'est l'endroit de bifurcation pour redescendre ou bien monter jusqu'au camp de base de l'Annapruna, notre but.



Ca y est, notre ami porteur a résolu le problème des prénoms. Il appelle mon père Father et moi Border (comprendre bien sûr brother). Venant près de moi, il m'explique: "You border, me border." C'est génial, on est frères. Je trouve ça tellement gentil, simple, spontané, et son erreur de prononciation est tellement charmante et comique, que je lui rends la pareille. Nous l'appellerons donc Border. D'ailleurs, quand je m'adresse à lui de la sorte, il resplendit, heureux. Je le suis aussi. Et en plus, ça nous fait tous beaucoup rire.

Ces porteurs sont très impressionnants avec le poids énorme que certains doivent transporter, parfois pour des expéditions ou pour du ravitaillement, le tout retenu à la force de la nuque par des cordes. Ils sont vraiment balaises. On peut en voir avec plusieurs sacs à dos empilés, des paniers en osier contenant des kilos de matériel, des bonbonnes de gaz ou encore des cages à poules. Ils ne bronchent pas et portent parfois l'équivalent de leur propre poids, voire plus, en gravissant les marches abruptes avec aux pieds de simples slaches en plastique. Très impressionnant. J'ai vu plusieurs fois Border causer avec ses compères en nous désignant du doigt, exprimant visiblement qu'il a de la chance avec nous qui portons chacun notre sac. En effet, on en voit se trimballer de grosses valises Samsonite que des touristes, parfois bien costauds, mais surtout sans scrupules, leur font transporter.


Nous sommes maintenant le cinquième jour et bifurquons sur le tronçon qui mène au camp de base de l'Annapurna, dénommé A.B.C. pour Annapurna Base Camp. On est beaucoup plus tranquilles, la plupart des touristes étant redescendus. Ceci dit, cela reste assez fréquenté, car ce trek est beaucoup couru et on est en pleine haute saison, chose nécessaire si l'on veut éviter la mousson d'été et la neige en hiver. On croise et dépasse donc pas mal de gens, mais on a généralement plus affaire ici à des personnes qui en veulent vraiment et qui se donnent du mal. Ca rend les rencontres plus agréables et fait oublier ces troupeaux de Chinois des premiers jours qui vociféraient dans les salles communes et sur les sentiers sans tenir aucun compte de personne, et certainement pas des Népalais qui portent leur garde-robe.




Depuis Poon Hill où on était monté à 3200 m, on est maintenant redescendu à 2100 m. Quand on sait qu'on doit au final atteindre 4100 m, ça la fout un peu mal, mais c'est le jeu. Et puis, franchement, ça me plaît bien de grimper. On remonte ainsi les bords d'une vallée abrupte dont les parois vertigineuses forment un V, mais en redescendant à chaque fois ce que l'on a monté. Au lieu de monter progressivement, on joue aux montagnes russes le long de la paroi avec des côtes et des descentes très raides. En tout cas, ça fait bien bosser les guibolles et j'aime beaucoup ça. Ce sera donc sur les deux ou trois derniers jours qu'on devra grimper d'un coup la presque totalité du dénivelé de manière à rattraper en quelque sorte ce qu'on s'est amusé à redescendre à chaque fois. Le paysage reste de ce fait très vert, passant de forêts de rhododendrons immenses, malheureusement pas en fleur à cette période, aux plantations et cultures sur des terrasses à flancs de colline.










Father et moi avons la pêche. Jour après jour, on engloutit les dénivelés avec motivation. Il faut dire que marcher dans un environnement pareil ne peut qu'inspirer l'envie de continuer. Surtout en sachant qu'on va vers le plus beau.

Annapurna Sud (7219 m)
Le temps est généralement bien dégagé le matin et le soir, nous offrant des vues magnifiques sur l'Annapurna Sud et le Machapuchare en forme de queue de poisson, ce que son nom signifie. Progressivement avec la montée de la chaleur, le ciel se couvre durant la journée. On a parfois même quelques gouttes de pluie en soirée, voire un petit orage. Puis, durant la nuit, le ciel se dégage complètement et le matin suivant on peut commencer notre marche sous le soleil. D'ailleurs, pour pouvoir en profiter et vu que sous ces latitudes, il fait noir à 18h, on se lève avec les poules. Ainsi, le départ se fait généralement entre 7h30 et 8h pour s'arrêter vers 15h maximum. A partir de 16h, le soleil disparaît derrière les sommets et on sent immédiatement une forte chute de température. Il faut alors sortir les petites laines. Puis, après un souper copieux aux environs de 18h30, on part se coucher entre 19h et 20h comme des bébés, rompus par l'effort de la journée.

Machapuchare (6993 m)
Pour ce qui est du repas, on se nourrit de soupe de nouilles, de riz ou nouilles frits accompagnés de divers légumes et du plat national, le dal bhat, riz à la soupe de lentilles accompagné de patates au curry. J'adore et je commence même à m'habituer à la nourriture gentiment épicée. Ce qui est bien avec ces plats, c'est que même si ça a le même nom sur la carte, c'est à chaque fois différent et finalement assez varié. En tout cas, c'est à chaque fois un régal.

Quand on croise des porteurs, on peut parfois sentir leur effluve âcre et musqué nous accompagner pendant plusieurs mètres après leur passage. Il faut dire que l'hygiène des gens du coin est plutôt sommaire, voire inexistante pour certains. Beaucoup sont crados et, disons-le franchement, puent le yak. Border a, lui aussi, son petit arôme de vieille crasse. J'ai bien eu l'occasion de m'en rendre compte le jour où je l'ai amicalement pris dans mes bras, lui rendant ainsi son accolade. Ca décape!


La communication avec Border est très difficile. C'est un peu dommage car on ne peut pas apprendre à le connaître et vice-versa. Nos échanges se limitent à quelques informations, toujours les mêmes, sur l'heure de départ du lendemain, la durée de l'étape et le type de relief. Dès qu'on essaye de faire une phrase de plus de trois mots, il est perdu. Mais le plus important, c'est qu'il sourit et se marre tout le temps. Dès qu'il croise notre regard, quelle que soit la chose qu'on essaie de se dire, il sourit. Quand Father et moi rions du comique de l'impossibilité de lui faire comprendre quelque chose, il se marre. Quand il me dit un truc auquel je n'entrave rien, il rit. Ce gars est génial et, si ce n'est cette barrière de la langue impossible à franchir, on est vachement bien tombé avec lui. Et il s'est visiblement pris d'affection pour moi car il vient parfois me prendre la main en me disant "Border!", m'étreindre, me palper les mollets en disant "Stone Border!" ou encore dernièrement me faire un bisou. Il est comique et très touchant, le Border. Bon, j'espère quand même que ses marques d'affection vont s'arrêter là...

Avant d'atteindre A.B.C., on doit passer par M.B.C. (Machapuchare Base Camp). Nous sommes maintenant sur notre dernière ligne droite et le relief ne fait plus que grimper. Vu l'affluence de trekkers, les maisons d'hôte de plus en plus rares à mesure que l'altitude s'élève sont par la même occasion de plus en plus remplies, et aujourd'hui il n'y a plus de place pour nous. Nous sommes donc contraints, après avoir téléphoné à M.B.C. pour nous assurer une place, à continuer notre route. Malheureusement, il est 13h et le ciel a déjà commencé à se couvrir, ce qui, vu notre altitude, nous plonge en plein dans les nuages. C'est donc dans le froid et le brouillard qu'on parcourt le dernier tronçon de la journée, passant ainsi au total de 2200 m à 3700 m en un coup. C'est beaucoup et je ressens pendant la nuit quelques symptômes dûs à l'altitude, mal de tête et le coeur qui galope. Mais c'est sans gravité et passe assez vite. La température, elle aussi, témoigne de l'altitude. Il fait carrément caillant et c'est cela, en plus de la fatigue habituelle, qui nous précipite au lit dès 19h, emmitouflés dans pull, sac de couchage et couverture. Il faut dire que la rusticité des logements ajoute beaucoup à la sensation de froid car ils sont très humides. Nos habits ne sèchent d'ailleurs plus que le lendemain quand le soleil donne, accrochés à nos sacs à dos. On fait ainsi un peu sèche-linge ambulants avec nos slips, chaussettes, t-shirts et serviettes ballottant sur nos sacs.

Le lendemain, lever à 4h30 pour la deuxième fois du trek. Cette fois-ci, la raison est qu'il faut arriver à A.B.C. suffisamment tôt avant que les nuages n'envahissent le ciel et bouchent toute la vue. Car, comme tous les jours, le ciel s'est à nouveau complètement dégagé pendant la nuit. C'est donc dans le noir, à la lampe frontale, et sous les étoiles que l'on part gravir les 300 derniers mètres qui nous séparent de notre but. Il fait très frais et cela ne fait que s'intensifier en montant. D'ailleurs, à partir d'une certaine altitude, l'herbe est couverte de givre, il gèle carrément. Et puis, ça y est, on atteint le camp de base à 4130 m!


Annapurna I (8091 m)
C'est grandiose! On est entouré de sommets immenses et de glaciers. Par contre, le soleil commence seulement à pointer son nez et il fait foutrement caillant. De plus, c'est l'affluence et le site est plein de monde. On décide donc d'aller déjeuner dans une des bicoques en attendant que le soleil réchauffe un peu l'atmosphère. Quand on ressort, c'est la surprise. Tout le monde s'est barré. Incroyable! Les gens viennent donc ici en marchant pendant 10 jours pour atteindre le but, prendre des photos dans la pénombre en caillant des billes et puis redescendre illico, alors qu'à partir de 8h, il fait bien meilleur et la lumière est magnifique. Tant pis pour eux et tant mieux pour nous. On en profite à fond dans le calme et la sérénité. Le Sanctuaire porte bien son nom et les drapeaux de prière multicolores l'embellissent.



 
Border
Après une heure de contemplation, Father et Border décident de redescendre jusque M.B.C. où on a laissé nos affaires. J'ai, pour ma part, toujours envie de rester et de m'en mettre plein la vue. Je n'en ai pas eu assez. Je les laisse donc rentrer et pars m'isoler en retrait des sentiers pour contempler à ma guise la majestueuse chaîne, faire des photos et juste profiter d'être là. C'est bon. D'ailleurs, je suis tellement bien que je m'endors caché derrière une pierre.






3 commentaires:

  1. C'est aussi bon de te lire Papy. Rholala que c'est magnifique...

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  2. Heureuse d'apprendre que la famille s'est agrandie!! Bienvenue à Border! Et gros bisous à vous deux!

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  3. Quel magnifique pays mais quelle pauvreté! Je présume que la spiritualité leur donne beaucoup de force? J' attends avec impatience la suite de ton aventure.Bisous. J'attends de te lire avec grande impatience!

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