samedi 20 juin 2015


Islande - Les glaciers du sud-est

4 juin. Après un jour resté à l'auberge de Höfn à l'abri du vent, l'accalmie est arrivée et je peux reprendre la route. On dirait même que la température a un peu augmenté. Rien de vraiment excitant, mais on approche tout doucement des 10 °C, voire même des 12 °C quand le soleil se montre, ce qui, relativement à la semaine précédente, est juste extatique. J'ai presque envie de me mettre en maillot, là, tout de suite.

Je suis maintenant sur une plaine glaciaire en bord de mer. A ma gauche, d'immenses plages de sable noir fait de sédiments chariés par les rivières glaciaires. A ma droite, les montagnes se dressent, sortant abruptement du sol. Et dans les vallées qui séparent leurs sommets, les langues glaciaires s'écoulent. Car derrière tout cela, s'étend le Vatnajökull, cet immense glacier de 8 000 km2 dont la quantité de glace pourrait recouvrir toute l'île d'une épaisseur de 30 m. A son maximum, l'épaisseur atteint 950 m et le poids de la glace est tel que la terre en-dessous est enfoncée à 300 m sous le niveau de la mer. Tous ces glaciers que je vais longer et passer mon temps à admirer durant les jours qui viennent ne sont que des rejetons de ce colosse.

Et ça commence. Je passe devant une route de graviers qui semble se diriger vers l'un d'eux. Une petite pancarte annonce un camping. Je n'hésite pas longtemps et décide de me lancer. Avec la pluie des jours précédents, elle est carrément boueuse, ce qui ne fait pas mon affaire. J'avance péniblement. Une voiture s'approche et s'arrête à ma hauteur. Le type me dit que le camping, à seulement quelques kilomètres plus loin, est toujours fermé mais que j'y suis le bienvenu. Il me prévient qu'il n'y a donc pas d'eau courante, si ce n'est la rivière qui coule à proximité. Ca me convient parfaitement, c'est tout ce qu'il me faut. Je continue ainsi ma route pour aller m'installer dans ce camping. Je suis dans un sens rassuré d'avoir croisé ce gars car je suis absolument tout seul ici au milieu de nulle part et il est bon de savoir que quelqu'un sache où je suis. Car pour être seul, je suis seul. Personne d'autre. Le terrain est à moi. Avec le glacier à proximité, c'est tout simplement un emplacement de rêve. Je n'en reviens pas que personne ne vienne ici. Ce n'est certainement pas renseigné dans les guides, donc on n'y va pas. C'est décidé, je vais rester ici deux jours et bien profiter de l'endroit. Que c'est bon, d'avoir le temps de prendre le temps.



Le lendemain, objectif: randonnée vers le glacier. Un troupeau de rennes paît tranquillement pas loin de ma tente. Mon odeur doit sûrement les mettre en confiance. Il faut d'ailleurs que je prépare ma douche de ce soir car il est hors de question que je me baigne dans la rivière à 4 °C. Je vais donc y remplir toutes mes gourdes et ma poche à eau afin de les laisser toute la journée dans ma tente dans l'espoir qu'elle se réchauffe un peu. Elle est pure et délicieuse à boire, mais trop glacée pour se laver.


Le précédent randonneur?
Je me mets en route vers le glacier et me rends vite compte que la rivière m'en sépare. Je cherche un endroit pas trop profond, enlève mes godasses et traverse à pieds nus. Je n'ai de l'eau qu'à mi-mollets et ça ne me prend que trente secondes, mais c'est bien suffisant car c'est vraiment douloureux. Mes pieds sont comme pris dans un étau par le froid. Ce manque d'infrastructure explique sans doute pourquoi l'endroit n'est pas fréquenté. Ici, c'est à la débrouille. Tu veux voir le glacier? Eh bien, tu vas le sentir passer.

Après cette traversée, je trouve un chemin balisé qui m'amène au pied du glacier. C'est mon premier lors de ce voyage et il n'y a pas âme qui vive. C'est magique. J'y passe tout l'après-midi sans m'en lasser.



Au retour, je dois bien entendu repasser de l'autre côté de la rivière en adoptant la même technique qu'à l'aller.

Le soleil s'est montré par moments durant ma randonnée et j'espère sincèrement qu'il aura eu l'occasion de réchauffer quelque peu l'eau destinée à ma douche. Heureusement, je constate qu'elle a bien pris dix degrés et profite de quelques rayons de soleil pour me laver sans trop geler. Car se foutre à poil pour se laver avec de l'eau à 15 °C en plein vent par moins de 10 °C, ça aurait pu être bien pire, mais on ne sa savonne tout de même pas en chantonnant. Mission accomplie, journée parfaite.


Je continue ma route par sections d'une trentaine de kilomètres pour m'arrêter à chaque fois dans un endroit sympa et m'approcher de plusieurs glaciers en randonnant. Je parcours ainsi la distance que j'avais initialement prévue pour une journée en quatre jours. Totale improvisation en fonction des paysages que je vois. Vu que je dois attendre la mi-juin pour avoir des nouvelles sur l'état des routes du centre de l'île, j'ai bien le temps. Mes journées ne sont donc plus d'office rythmées par des étapes de vélo. C'est une toute nouvelle approche du voyage à vélo pour moi et ce coin-ci s'y prête à merveille.



La seule chose à prendre en compte et à calculer, ce sont mes vivres. Car si je prends une semaine pour parcourir les 200 km qui séparent deux villages, il faut que j'aie de quoi tenir. Mes sacs sont donc bourrés de nourriture en suffisance. C'est lourd, mais c'est ça qui me procure ma liberté de mouvements. Pour l'eau, pas de souci, ce n'est pas ça qui manque ici.

Le temps est plutôt de mon côté pour le moment. Mise à part la température qui est toujours bien fraîche, sans toutefois ne plus être glaciale, j'ai juste droit à de petites averses légères et le vent n'est pas trop dérangeant. Je suis sûr qu'en d'autres circonstances, je pesterais contre lui, mais on s'adapte à tout et tout est relatif. Disons qu'ici, au moins, il ne m'empêche pas de pédaler. Que demander de plus?



Après cinq jours à ce rythme, j'arrive au Jökulsárlón, le fameux lac dans lequel un glacier déverse d'énormes icebergs. Tout doucement, ils se dirigent vers la sortie du lac où ils créent un embouteillage en attendant d'avoir suffisamment fondu pour pouvoir être entrainés par la rivière jusque dans la mer. C'est splendide, et j'ai énormément de bol car le temps est radieux.


En fondant, les blocs de glace se retournent ou se disloquent dans un craquement de tonnerre impressionnant.


Certains sont aussi gros qu'une maison. Et je parle bien sûr de la partie émergée, qui ne représente que 10 % de leur taille (pour le petit rappel de physique).




Par moments, je pense voir un drôle de canard ou encore un chien au loin dans l'eau, jusqu'à ce que je réalise que ce sont des phoques.









Dans la catégorie faune, nous avons également ici une énorme colonie de sternes arctiques, ces oiseaux qui nichent sur le sol (comme tous les oiseaux ici vu qu'il n'y a pas d'arbres) et attaquent ceux qui s'aventurent trop près de leur nichée en essayant de leur becqueter le crâne. La route qui mène au site passe en plein milieu de la colonie, donc pour ceux qui sont à pied ou à vélo, mettez vos casques!



Ici, par contre, c'est super touristique. Une petite boutique de souvenirs fait également office de toilettes et de restaurant sur le site. Après une belle randonnée sur les bords du lac, je m'installe sur la terrasse à l'abri du vent en compagnie d'Andreas, un autre cycliste tout juste rencontré. Il fait vraiment bon et le soleil tape. Ce serait un jour parfait pour rouler avec un temps pareil, mais c'est également un jour parfait pour ne rien faire en admirant le paysage. On regarde également les gens et on rit car les tour bus arrivent et déversent leurs passagers. Et que font ceux-ci à peine le pied à terre? Aller s'extasier sur les bords du lac? Penses-tu... Ils se ruent tous à l'intérieur de la boutique sans un regard vers les icebergs afin d'acheter un souvenir ou de boire un café. Ben oui... Ils les ont déjà vus par la vitre du car en arrivant. Plus besoin...

Mon vélo suscite aussi visiblement beaucoup plus d'intérêt que le site pour un groupe de Chinois qui se relaient tour à tour pour poser avec lui en se bidonnant.



Bon... J'ai parlé des gens en car. On pourrait arguer qu'ils n'ont pas assez de temps car limités par un horaire. Soit. Mais il y a aussi tous ceux qui parcourent l'île en voiture de location. Eux sont libres. Et pourant, dès 19h, heure de fermeture de la boutique, alors que tous les cars ont dégagé, il n'y a plus que les quelques voitures des rares personnes qui veulent en profiter un max. Mais à part ça, c'est désert. A croire qu'il n'y a plus rien d'intéressant après la fermeture de la boutique. C'est génial. Ceci dit, cela fait mon affaire car je décide bien entendu de camper sur les bords du lac et je me retrouve seul avec le bruit des icebergs qui se fracassent en fond sonore. Le paradis.



Le jour suivant, prêt à partir, un vent violent se lève subitement au moment où je démarre. En pleine face. Je fais 100 m puis décide de rebrousser chemin en attendant que ça se calme. Hors de question que je refasse la même erreur qu'il y a dix jours où je n'arrivais même plus à pousser mon vélo. Je m'installe dans la boutique et attends. Mais ça ne fait qu'empirer tout au long de la journée pour se transformer en tempête de sable. L'apocalypse. Je reste bien sagement dans la boutique (avec tous mes amis qui ont pour l'heure encore moins de raisons d'en sortir) en me félicitant de ne pas être parti ce matin. De plus, on ne voit rien du tout. Difficile de réaliser que je me trouve au même endroit qu'hier. Ce qui me tracasse tout de même un peu, c'est que je vais devoir à nouveau camper ici, mais dans la tempête cette fois-ci. Heureusement, je me trouve un petit cratère dans lequel je peux un peu m'abriter du vent. Il faut juste espérer qu'il ne pleuvra pas à verse sinon c'est là que toute l'eau va s'acheminer et je risque de me réveiller dans une piscine. Mais le vent souffle tellement que je préfère prendre le risque.

Après cette nuit chaotique mais qui finalement s'est relativement pas trop mal déroulée vu les circonstances, je reprends enfin ma route. Le vent est maintenant gentil et dans mon dos alors que le ciel est tout bleu. Idéal. Le pied.




Mais la fête est de courte durée car après une heure à rouler peinard le long d'autres glaciers (encore), le vent reprend la même sérénade que la veille. Cette fois, par contre, je suis pris en plein dedans. Pas moyen d'y échapper. Et le calvaire commence. Plus moyen de pédaler, je dois pousser. Ras-le-bol! Après une heure à ce régime-là, j'arrive à trouver un abri sous un pont, le seul endroit possible dans ce paysage plat. Je m'y écroule pendant deux heures en attendant que ça se calme un peu et j'arrive finalement le soir, déglingué, en ayant glorieusement parcouru 50 km en cinq heures. Dur.

Je suis maintenant près du parc national de Skaftafell, un lieu touristique très renommé. C'est la deuxième fois que je viens ici et je n'ai toujours pas compris pourquoi cet endroit en particulier attire autant de monde. Non pas que ça n'en vaille pas la peine, loin de là. Mais des endroits pareils avec des randonnées tout aussi belles, il y en a des tonnes ailleurs et sans la foule. Car c'est vraiment bondé. J'aurai la réponse à ma question quelques jours plus tard en entendant un type dire : "On voulait aller à Skaftafell, mais il n'y avait pas moyen de se garer au Visitor Center. Donc on est partis." Encore la même histoire: le centre d'information et la boutique. C'est vraiment triste, tous ces gens qui viennent ici en ne voyant que ça. Ce qui est sûr, c'est que moi aussi, je passe mon chemin, et pas parce que je n'arrive pas à m'y garer. Mais avant ça, je fais tout de même un petit crochet à pied jusqu'à la superbe cascade de Svartifoss.


J'y rencontre un guide de montagne qui me confirme que les routes du centre ne sont toujours pas ouvertes et ne le seront pas avant juillet. Mon plan initial de traverser l'île par le centre tombe donc malheureusement définitivement à l'eau. J'ai vraiment bien fait de prendre mon temps jusqu'ici avec toutes ces randonnées.

Pendant les deux jours qui suivent, je suis bloqué au camping par le temps. C'est le déluge et la température rechute drastiquement. On est le 12 juin, jour où la petite boule de poils que je suis vint au monde, et j'avais espéré avoir des conditions idéales en guise de cadeau d'anniversaire. Que dalle! Je suis juste condamné à attendre que ça s'améliore. Et sans bière, en plus!

Durant la nuit, une chose très étrange se passe: j'ai froid dans mon super sac de couchage en duvet. Je ne comprends pas pourquoi car je peux dormir dedans jusque 0 °C sans problème, et nu évidemment. Aurait-il pris l'humidité avec toute cette flotte et ainsi serait devenu inefficace? J'ai vraiment froid et à partir de 3h, ne peux plus dormir. Je mets un pull et un collant, ce qui bien sûr n'arrange rien car mettre une couche isolante entre son corps et les plumes anéantit tout simplement le pouvoir calorifique de ces dernières. A 4h, je veux sortir de ma tente pour pisser et je constate avec stupeur que la toile est couverte d'une pellicule de glace. Eh bien la voilà, la réponse à mon problème: il gèle car le ciel s'est complètement dégagé. Je n'aurais pas imaginé ça en plein mois de juin, mais il fait juste trop froid pour mon sac de couchage. Inutile de trainer, je replie mes affaires pour aller me réchauffer et me préparer dans la salle commune.

Je prends ainsi la route à 7h. Il fait caillant, mais à cette heure, il n'y a aucun trafic. La route est à moi. De plus, grâce à ce temps clair j'ai une vue magnifique sur les immenses étendues que je traverse. C'aurait vraiment été dommage de ne rien voir de tout cela. J'ai bien fait d'attendre plusieurs jours.






Je parcours ainsi pendant les deux jours qui suivent 150 km de désert magnifique. Je parviens à un moment à l'embranchement que j'avais prévu de prendre pour m'aventurer dans le centre de l'île si le temps me l'avait permis. C'est avec un petit pincement de coeur que je laisse passer les plaques de signalisation car c'était tout de même la raison principale qui avait motivé mon retour ici. Mais c'est peut-être le signe que je devrai revenir une autre fois...




J'arrive ainsi à Vík, qui marque l'entrée dans la zone plus habitée et agricole de l'Islande.






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