mercredi 10 juin 2015


Islande - Les fjords de l'est

26 mai. L'arrivée en Islande est tout simplement magique. Dès le réveil, je me rends sur le pont pour assister à l'entrée dans le fjord et, première constatation, le ciel est tout bleu. Inespéré. Deuxième constatation, tout est couvert de neige. Je m'attendais bien sûr à de la neige sur les sommets, voire un peu plus vu qu'on m'avait prévenu que l'hiver dernier avait été un des plus rigoureux depuis les 25 dernières années, mais là, elle descend presque jusqu'au niveau de la mer. J'étais loin de m'attendre à ça. Tant de neige avec un ciel aussi bleu rendent le paysage encore plus splendide. Je n'aurais pas pu imaginer entrée plus majestueuse en Islande. Il ne manque que le drakkar et ç'aurait été parfait. Par contre, il fait évidemment bien plus caillant que prévu et je dois retourner en cabine pour mettre des couches en plus. Ca promet des joyeusetés, ce froid.




Seyðisfjörður
Une fois à terre au port de Seyðisfjörður, le thermomètre annonce 2 °C. Voilà, on est fixé. Mais ce n'est pas bien grave car vu ce qui m'attend, je préfère du froid bien sec plutôt qu'une douche glacée. En effet, pour sortir du port, la route grimpe d'emblée jusque 700 mètres pendant 10 km pour redescendre de l'autre côté de la montagne. Pas d'autre choix, pas de mise en jambes, il faut directement se taper un col, à froid. Je prends donc la route en compagnie de mes deux potes cyclistes, mais à peine parti, je m'arrête pour une photo du navire dans le port. C'est là que mes compagnons font demi-tour pour me rejoindre et me dire qu'ils préfèrent déjà me dire au revoir au cas où on ne se reverrait plus. Ils m'avaient prévenu qu'ils désiraient couvrir le plus de distance possible chaque jour, sans trainer. Chacun vit son trip comme il le veut, mais je trouve quand même dommage de filer dans un paysage pareil sans prendre le temps de l'apprécier. Moi, c'est complètement l'inverse, je compte bien prendre mon temps et profiter un max de tout ce que je vois, d'autant plus depuis que j'ai eu la confirmation que les routes du centre sont toujours impraticables et que je devrai, au mieux, attendre la mi-juin pour pouvoir réaliser mon plan initial de traverser l'île du sud au nord. J'ai donc vraiment tout le temps de sillonner les chemins par ci par là. Ainsi, mes compagnons me rejoignent, on se salue, on se souhaite le meilleur, et les voilà qui commencent à tracer devant moi. Je suis impressionné car ils me laissent très vite sur place alors qu'ils sont aussi chargés que moi. La seule chose que je trouve bizarre et qui me fait un peu douter, c'est qu'ils ne moulinent pas beaucoup. Ils poussent sur leurs pédales commes des forcenés. Ils sont ou bien très forts ou bien... Et ça ne rate pas. Après 10 minutes, je les vois un peu plus loin descendre de vélo pour le pousser. Il faut dire que la pente est par moments bien escarpée, et se la taper sans échauffement et par un froid pareil, c'est costaud. Mais avec leur technique, c'était carrément perdu d'avance. Je souffle d'ailleurs comme un phoque et j'ai du mal à trouver mon rythme, mais il finit par venir et je parviens à monter gentiment, mais sûrement. Je suis ravi car il fait splendide et grimper comme ça dans la neige est vraiment extra. Le pied. Pour le même prix, ç'aurait pu être dans le brouillard et sous les averses de neige. Je dépasse les deux autres et continue ma route jusqu'au sommet où un autre cycliste, beaucoup moins chargé, me rejoint, et on fait connaissance. Simon voyage avec le strict minimum, très léger, alors que je préfère avoir un peu plus de poids mais avoir tout pour mon auto-suffisance. Lui va tous les jours au restaurant alors que je préfère faire ma popote. Ca lui coûte d'ailleurs une blinde dans un pays comme celui-ci mais c'est sa manière de voyager. L'avantage, c'est que cette côte, il la monte peinard. 




Les deux autres arrivent finalement et je leur demande tout de même ce qui s'est passé, s'ils ont eu un souci. Ah non, pas du tout, c'était trop dur, me dit l'un d'eux avec un petit sourire gêné. Quand je pense qu'hier il nous faisait une dissertation sur le limites du corps humain à toujours repousser à la force du mental, qu'il avait déjà marché 82 km en une journée, et qu'il y a toujours moyen car tout est dans la tête... Il m'avait d'ailleurs bien gonflé avec sa tirade et je m'étais dit qu'on n'allait finalement pas faire beaucoup de chemin ensemble. Eh bien, elles sont toutes vues, ses limites. Et j'ai l'impression qu'il aime bien raconter des histoires. En tout cas, bonne chance pour la suite car elles ne sont pas près de s'arrêter, les difficultés.

Je m'emmitoufle pour la descente car je suis en sueur et il gèle. Le paysage est à couper le souffle et la vue est grandiose. Je descends à mon aise pour bien en profiter, prendre des photos et aussi ne pas avoir trop froid, tandis que les deux lascars filent comme des balles jusqu'en bas. De mieux en mieux. On n'est décidément pas faits pour voyager ensemble et c'est très bien qu'ils prennent le large.




Après avoir fait mes provisions à la ville principale du coin, je reprends la route, accompagné de Simon. Il est chouette mais assez bizarre. Il parle par saccades, un peu comme un robot, et a l'air un peu déphasé. Il me fait rire. On enchaîne donc ensemble notre deuxième col de la journée au milieu de nulle part. On a même droit à une averse de neige au sommet, après lequel on arrive à Reyðarfjörðdur pour planter notre tente.



On est seuls, il fait très froid et je suis fatigué. Pour notre première journée en Islande, ça fait beaucoup d'émotions et pas mal de boulot. C'est là que Simon sort trois grandes cannettes de bière de ses sacs. Déjà qu'il ne transporte presque rien, voilà qu'il a en plus des pils. On rit et il m'explique qu'il lui faut de la bière tous les jours, qu'il n'envisage pas une journée de vélo sans bière à la clé. C'est drôle.

Ici, il n'y a plus de nuit. Le soleil se couche à 23h30 pour se lever à 2h30, le crépuscule et l'aube étant confondus. Pendant cette période, il y a juste une petite baisse de clarté, comme si un gros nuage passait. Rien de plus. Pouvoir lire en camping sans lampe de poche, c'est le top. Pour dormir, c'est parfois plus difficile, mais on s'accomode.

Le lendemain, le gardien du camping est là et voilà qu'il me lâche quelques mots en français. Il a vécu cinq ans avenue Franklin Roosevelt, le peï. C'est la meilleure, ça. Il nous dit qu'il gère également le prochain camping sur la route et qu'on peut y séjourner gratuitement car il n'ouvre que la semaine prochaine. Ca fait partie des plaisirs du voyage hors-saison. La température n'est peut-être pas encore là, mais on a d'autres petits avantages, comme l'inestimable absence de tourisme de masse. Il n'y a personne. On prend d'ailleurs une route non pavée qui longe un fjord et elle est à nous. Moins de dix voitures sur la journée. Et ça, ça compense pas mal le fait de se les geler. Car on se les gèle bien. Je dois parfois descendre de vélo pour marcher afin de me réchauffer les pieds tellement ça fait mal. Mais ce que je suis heureux de me retrouver là! Le paysage est absolument grandiose.






A un moment, Simon prend de l'avance et je termine l'étape seul pour arriver au camping précité sans l'y voir. Je me dis qu'il a préféré continuer jusqu'au prochain bled, que mon rythme était trop lent pour lui. Mais une heure plus tard, je le vois arriver, visiblement un peu caisse. "Tu n'as pas vu mon vélo devant le restaurant? J'ai mangé et bu des bières en t'attendant.", dit-il, ravi d'avoir clôturé son étape dans les règles de l'art. Il me fait rire. Et tout ça avec sa voix de Transformers. Après avoir planté sa tente, il décide d'aller faire un tour au magasin du village pour en revenir avec des victuailles, c'est-à-dire bien entendu, des pils. Il avait un peu de place à combler dans un de ses sacs. Je ris. J'en bois une difficilement avec lui car je suis crevé et j'ai froid, mais lui, c'est son fuel. Il me dit, avant que j'aille me coucher, qu'il partira tôt le lendemain et ira plus loin que ce que j'ai prévu. C'est donc ici que nos chemins se séparent. On n'a passé que deux jours ensemble, mais c'était bien sympa. Premier compagnon de route depuis que je suis parti.





Il bruine de temps en temps. Le ciel est très changeant, entre soleil et gros nuages, mais de manière générale, la météo est jusqu'ici plutôt satisfaisante, froide mais pas trop venteuse. Je continue ma route le long des fjords de la côte est et c'est toujours aussi beau. Je m'arrête pendant deux jours dans un camping gratuit à Breiðdalsvík, histoire de prendre un peu de repos. Des toilettes chauffées et propres avec de l'eau chaude sont à disposition pour le confort des voyageurs. C'est génial. Je rencontre le propriétaire du terrain, que je remercie pour son initiative généreuse. Il fait ça pour aider les gens. Il a des frais d'entretien, de chauffage et d'électricité, mais il s'en fout. C'est son trip. Il m'invite même à passer chez lui au cas où il y aurait trop de vent. Un bon gars. Il me dit également qu'ils attendent tous l'été avec impatience et qu'ils en ont marre de ce froid, inhabituel pour la saison. On oscille entre 4 et 6 degrés pour le moment. Toute une journée à vélo, c'est très froid. Je ne peux que plussoyer.

Breiðdalsvík
Mais le bon temps ne pouvait pas durer éternellement. Le ciel se couvre un après-midi et la pluie commence, fine et presque pas dérangeante au début, mais constante et insidieuse car après une heure, je suis trempé. Ce qui me dérange le plus, c'est que je ne vois plus rien du paysage et ne peux plus en profiter. Le vent se joint à la partie et je termine ainsi mon étape rincé, frigorifié et sans avoir pu voir les 40 derniers kilomètres. Totalement sans intérêt et typiquement le genre de truc que j'essaie d'éviter autant que possible. Mais quand on est pris dedans, on n'a pas le choix.



Avant d'entrer dans la poisse
Djúpivogur entre deux averses
Le lendemain, c'est pire, on ne voit rien du tout. Je reste donc au camping, qui dispose d'une pièce et d'une cuisine communes. Tout ce qu'il faut en cas de grain. Je suis à Djúpivogur, un petit bled qui compte un seul magasin où la nourriture coûte la peau de fesses. Mes provisions s'amenuisent et j'aimerais pouvoir faire mes courses dans un endroit plus abordable car les magasins étant rares, j'achète généralement en masse pour plusieurs jours. De plus, une journée ici enfermé à ne rien foutre, c'est bien pour se reposer le corps, mais ça donne vite envie de se barrer. 80 km me séparent de la prochaine ville plus importante, Höfn, et je décide de partir coûte que coûte le lendemain de bonne heure. Il faut que je bouge. Si j'avais su...

Le vent ne fait que redoubler durant la nuit. Ma tente est secouée dans tous les sens et je parviens à seulement dormir par à-coups. Impossible. La toile claque comme un fouet et le vent me soulève par le sol. A 3h, j'en ai marre. Il est indiqué qu'il est interdit de dormir dans la salle commune sous peine d'amende, mais je n'en suis plus à ça. Qu'ils viennent tenter de dormir dehors là maintenant et on en reparlera. Il fait plein jour et je replie mon barda qui s'envole pour aller m'installer sur le canapé à l'intérieur où je ne fais que somnoler. A 7h30, je suis tellement résolu à partir que j'y vais. Le vent est toujours infernal et il neige légèrement. Un délice. Mais j'ai le moral gonflé à bloc et ça ne m'arrête pas. Bien entendu, j'ai le vent de face. Une dure lutte s'engage, interminable. Je n'avance pas. Pénible. Je consulte mon compteur: 6 km en 45 minutes. A cette vitesse-là, je ne suis pas près d'arriver. La ferveur et l'enthousiasme qui m'habitaient au départ se sont calmés pour laisser place à un peu plus de raison. J'ai été con, j'aurais dû rester. Mais ma surmotivation m'en empêchait. Maintenant, c'est bon, j'ai compris. Après une énième rafale qui manque de me renverser, je décide de faire demi-tour. Le vent me pousse tellement fort qu'en un quart-d'heure, je suis de retour au camping. Tout ça pour ça.

Je vais consulter la météo à l'office du tourisme à présent ouvert et, en compagnie de la charmante employée, je constate que le vent est de 75 km/h. Sans blague, que je n'y arrivais pas. Cependant, on annonce une baisse de moitié à la mi-journée. Ce sera toujours fort, mais plus gérable. J'aviserai à ce moment-là. En attendant, je retourne m'écrouler sur le canapé du camping où ma super nuit me rattrape.

Je me réveille à 11h, le soleil est là. Je sens la motivation revenir, et après avoir vérifié à l'office du tourisme que le vent avait bien baissé de moitié, je décide de retenter l'épreuve. De plus, je constate qu'une fois le fjord passé, le vent sera moins fort. On y va. C'est fois, j'avance un peu plus vite. Ce n'est pas la gloire, mais c'est bien mieux. Et il fait un peu meilleur, on est à 6 °C. Mais arrivé à l'endroit exact où j'ai rebroussé chemin plus tôt, je manque à nouveau de me retrouver les quatre fers en l'air. Mais cette fois, je veux continuer jusqu'au fond du fjord où j'aurai le vent de dos et ensuite ça devrait aller. J'alterne entre pédaler et pousser mon vélo, car il est par moment impossible de tenir en équilibre dessus. Mais plus j'approche du fond du fjord et plus le vent est fort, m'obligeant à faire les derniers kilomètres en marchant. Heureusement qu'il a baissé depuis ce matin... Je tourne lentement, me retrouvant progressivement avec le vent de côté, et c'est encore pire. Je commence à stresser, j'ai peur de m'envoler et de me faire mal, et mes bras s'ankylosent à force de résister au vent. Petit à petit, je me retrouve avec le vent de dos et dois maintenant retenir mon vélo pour ne pas qu'il se tire. C'est le moment de remonter en selle. Freins à bloc, casque sur la tête, fesses serrées, j'enfourche prudemment l'animal puis je lâche tout. Et c'est le catapultage. Je file comme un pet sur une toile cirée. Ca a l'air sympa ainsi, mais pas du tout. Je me sens comme sur une moto sauf que je n'ai aucun contrôle sur le moteur. Les rafales sont trop dangereuses et j'ai même un pied près du sol au cas où je devrais rattraper une chute. Freiner en côte: une première pour moi. Je sors enfin du fjord en espérant que ça s'améliore, mais non. Merci les prévisions météo! A nouveau, le vent est de côté, à nouveau, je dois marcher. J'en suis à 25 km en 2h30 et je n'en peux déjà plus. Je vois des granges au loin, il faut que je m'y arrête. Je ne peux pas continuer ainsi, c'est trop dangereux en plus d'être épuisant. Je n'arrive maintenant même plus à pousser mon vélo. J'essaie juste de tenir debout. C'est là qu'une voiture s'arrête. La conductrice me demande si je suis OK. Sans l'once d'une hésitation, je lui dis que non. On charge mon vélo dans sa caisse et je m'affale sur le siège avant. Elle parle mal anglais et, un peu stressée de prendre un inconnu malgré son envie d'aider, elle me dit: "You don't kill me?" 

Il n'y a pas à dire, c'est plus facile en voiture. Ce qui est sûr aussi, c'est que pour rien au monde je ne troquerais mon vélo contre une bagnole ici car on va beaucoup trop vite. On parcourt ainsi en une heure ce qui m'aurait pris la journée à vélo. Ce qu'on voit est fabuleux, mais on n'a pas le temps de tout enregistrer. On enchaîne trop de trucs. On ne fait pas de photo, les paysages défilent les uns après les autres. La différence avec ce que j'emmagasine comme souvenirs sur mon vélo est phénoménale. J'aurais aimé faire ces 60 bornes à vélo, quand j'y repense, mais c'était impossible à ce moment. Même si j'ai un peu le sentiment d'avoir manqué quelque chose, je n'ai qu'à m'y résoudre en me disant que ça fait partie de l'aventure islandaise et je suis de toute façon bien content que cette fille soit venue à mon aide. A un moment, je pense lui demander de me déposer à un endroit où on semble être sortis des turbulences, mais c'est là que la voiture bouge sous le coup d'une rafale, donc j'abandonne l'idée et me résigne. Ce vent renverse des camions, me dira plus tard un gars du coin. Les rafales passaient les 80 km/h.

Avant d'arriver à Höfn, au sortir d'un tunnel, les glaciers apparaissent devant nous, d'un coup. Quelle beauté! Le paysage a radicalement changé. On est passé des routes sinueuses le long des fjords aux immenses plaines bordées de montagnes dont se déversent des tonnes de glace. Ca, ce sera pour la prochaine étape. En attendant, arrivé à destination et après avoir chaleureusement remercié ma sauveuse, je me rends à l'auberge. Hors de question que je me frotte encore au vent aujourd'hui. J'ai donné pour le moment et ai besoin d'une vraie nuit de sommeil. Je roupille pendant dix heures comme un bébé.

Première semaine en Islande à la hauteur de mes attentes: du super et du difficile. De l'intense dans tous les cas. Extra!

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