samedi 20 juin 2015


Islande - Les glaciers du sud-est

4 juin. Après un jour resté à l'auberge de Höfn à l'abri du vent, l'accalmie est arrivée et je peux reprendre la route. On dirait même que la température a un peu augmenté. Rien de vraiment excitant, mais on approche tout doucement des 10 °C, voire même des 12 °C quand le soleil se montre, ce qui, relativement à la semaine précédente, est juste extatique. J'ai presque envie de me mettre en maillot, là, tout de suite.

Je suis maintenant sur une plaine glaciaire en bord de mer. A ma gauche, d'immenses plages de sable noir fait de sédiments chariés par les rivières glaciaires. A ma droite, les montagnes se dressent, sortant abruptement du sol. Et dans les vallées qui séparent leurs sommets, les langues glaciaires s'écoulent. Car derrière tout cela, s'étend le Vatnajökull, cet immense glacier de 8 000 km2 dont la quantité de glace pourrait recouvrir toute l'île d'une épaisseur de 30 m. A son maximum, l'épaisseur atteint 950 m et le poids de la glace est tel que la terre en-dessous est enfoncée à 300 m sous le niveau de la mer. Tous ces glaciers que je vais longer et passer mon temps à admirer durant les jours qui viennent ne sont que des rejetons de ce colosse.

Et ça commence. Je passe devant une route de graviers qui semble se diriger vers l'un d'eux. Une petite pancarte annonce un camping. Je n'hésite pas longtemps et décide de me lancer. Avec la pluie des jours précédents, elle est carrément boueuse, ce qui ne fait pas mon affaire. J'avance péniblement. Une voiture s'approche et s'arrête à ma hauteur. Le type me dit que le camping, à seulement quelques kilomètres plus loin, est toujours fermé mais que j'y suis le bienvenu. Il me prévient qu'il n'y a donc pas d'eau courante, si ce n'est la rivière qui coule à proximité. Ca me convient parfaitement, c'est tout ce qu'il me faut. Je continue ainsi ma route pour aller m'installer dans ce camping. Je suis dans un sens rassuré d'avoir croisé ce gars car je suis absolument tout seul ici au milieu de nulle part et il est bon de savoir que quelqu'un sache où je suis. Car pour être seul, je suis seul. Personne d'autre. Le terrain est à moi. Avec le glacier à proximité, c'est tout simplement un emplacement de rêve. Je n'en reviens pas que personne ne vienne ici. Ce n'est certainement pas renseigné dans les guides, donc on n'y va pas. C'est décidé, je vais rester ici deux jours et bien profiter de l'endroit. Que c'est bon, d'avoir le temps de prendre le temps.



Le lendemain, objectif: randonnée vers le glacier. Un troupeau de rennes paît tranquillement pas loin de ma tente. Mon odeur doit sûrement les mettre en confiance. Il faut d'ailleurs que je prépare ma douche de ce soir car il est hors de question que je me baigne dans la rivière à 4 °C. Je vais donc y remplir toutes mes gourdes et ma poche à eau afin de les laisser toute la journée dans ma tente dans l'espoir qu'elle se réchauffe un peu. Elle est pure et délicieuse à boire, mais trop glacée pour se laver.


Le précédent randonneur?
Je me mets en route vers le glacier et me rends vite compte que la rivière m'en sépare. Je cherche un endroit pas trop profond, enlève mes godasses et traverse à pieds nus. Je n'ai de l'eau qu'à mi-mollets et ça ne me prend que trente secondes, mais c'est bien suffisant car c'est vraiment douloureux. Mes pieds sont comme pris dans un étau par le froid. Ce manque d'infrastructure explique sans doute pourquoi l'endroit n'est pas fréquenté. Ici, c'est à la débrouille. Tu veux voir le glacier? Eh bien, tu vas le sentir passer.

Après cette traversée, je trouve un chemin balisé qui m'amène au pied du glacier. C'est mon premier lors de ce voyage et il n'y a pas âme qui vive. C'est magique. J'y passe tout l'après-midi sans m'en lasser.



Au retour, je dois bien entendu repasser de l'autre côté de la rivière en adoptant la même technique qu'à l'aller.

Le soleil s'est montré par moments durant ma randonnée et j'espère sincèrement qu'il aura eu l'occasion de réchauffer quelque peu l'eau destinée à ma douche. Heureusement, je constate qu'elle a bien pris dix degrés et profite de quelques rayons de soleil pour me laver sans trop geler. Car se foutre à poil pour se laver avec de l'eau à 15 °C en plein vent par moins de 10 °C, ça aurait pu être bien pire, mais on ne sa savonne tout de même pas en chantonnant. Mission accomplie, journée parfaite.


Je continue ma route par sections d'une trentaine de kilomètres pour m'arrêter à chaque fois dans un endroit sympa et m'approcher de plusieurs glaciers en randonnant. Je parcours ainsi la distance que j'avais initialement prévue pour une journée en quatre jours. Totale improvisation en fonction des paysages que je vois. Vu que je dois attendre la mi-juin pour avoir des nouvelles sur l'état des routes du centre de l'île, j'ai bien le temps. Mes journées ne sont donc plus d'office rythmées par des étapes de vélo. C'est une toute nouvelle approche du voyage à vélo pour moi et ce coin-ci s'y prête à merveille.



La seule chose à prendre en compte et à calculer, ce sont mes vivres. Car si je prends une semaine pour parcourir les 200 km qui séparent deux villages, il faut que j'aie de quoi tenir. Mes sacs sont donc bourrés de nourriture en suffisance. C'est lourd, mais c'est ça qui me procure ma liberté de mouvements. Pour l'eau, pas de souci, ce n'est pas ça qui manque ici.

Le temps est plutôt de mon côté pour le moment. Mise à part la température qui est toujours bien fraîche, sans toutefois ne plus être glaciale, j'ai juste droit à de petites averses légères et le vent n'est pas trop dérangeant. Je suis sûr qu'en d'autres circonstances, je pesterais contre lui, mais on s'adapte à tout et tout est relatif. Disons qu'ici, au moins, il ne m'empêche pas de pédaler. Que demander de plus?



Après cinq jours à ce rythme, j'arrive au Jökulsárlón, le fameux lac dans lequel un glacier déverse d'énormes icebergs. Tout doucement, ils se dirigent vers la sortie du lac où ils créent un embouteillage en attendant d'avoir suffisamment fondu pour pouvoir être entrainés par la rivière jusque dans la mer. C'est splendide, et j'ai énormément de bol car le temps est radieux.


En fondant, les blocs de glace se retournent ou se disloquent dans un craquement de tonnerre impressionnant.


Certains sont aussi gros qu'une maison. Et je parle bien sûr de la partie émergée, qui ne représente que 10 % de leur taille (pour le petit rappel de physique).




Par moments, je pense voir un drôle de canard ou encore un chien au loin dans l'eau, jusqu'à ce que je réalise que ce sont des phoques.









Dans la catégorie faune, nous avons également ici une énorme colonie de sternes arctiques, ces oiseaux qui nichent sur le sol (comme tous les oiseaux ici vu qu'il n'y a pas d'arbres) et attaquent ceux qui s'aventurent trop près de leur nichée en essayant de leur becqueter le crâne. La route qui mène au site passe en plein milieu de la colonie, donc pour ceux qui sont à pied ou à vélo, mettez vos casques!



Ici, par contre, c'est super touristique. Une petite boutique de souvenirs fait également office de toilettes et de restaurant sur le site. Après une belle randonnée sur les bords du lac, je m'installe sur la terrasse à l'abri du vent en compagnie d'Andreas, un autre cycliste tout juste rencontré. Il fait vraiment bon et le soleil tape. Ce serait un jour parfait pour rouler avec un temps pareil, mais c'est également un jour parfait pour ne rien faire en admirant le paysage. On regarde également les gens et on rit car les tour bus arrivent et déversent leurs passagers. Et que font ceux-ci à peine le pied à terre? Aller s'extasier sur les bords du lac? Penses-tu... Ils se ruent tous à l'intérieur de la boutique sans un regard vers les icebergs afin d'acheter un souvenir ou de boire un café. Ben oui... Ils les ont déjà vus par la vitre du car en arrivant. Plus besoin...

Mon vélo suscite aussi visiblement beaucoup plus d'intérêt que le site pour un groupe de Chinois qui se relaient tour à tour pour poser avec lui en se bidonnant.



Bon... J'ai parlé des gens en car. On pourrait arguer qu'ils n'ont pas assez de temps car limités par un horaire. Soit. Mais il y a aussi tous ceux qui parcourent l'île en voiture de location. Eux sont libres. Et pourant, dès 19h, heure de fermeture de la boutique, alors que tous les cars ont dégagé, il n'y a plus que les quelques voitures des rares personnes qui veulent en profiter un max. Mais à part ça, c'est désert. A croire qu'il n'y a plus rien d'intéressant après la fermeture de la boutique. C'est génial. Ceci dit, cela fait mon affaire car je décide bien entendu de camper sur les bords du lac et je me retrouve seul avec le bruit des icebergs qui se fracassent en fond sonore. Le paradis.



Le jour suivant, prêt à partir, un vent violent se lève subitement au moment où je démarre. En pleine face. Je fais 100 m puis décide de rebrousser chemin en attendant que ça se calme. Hors de question que je refasse la même erreur qu'il y a dix jours où je n'arrivais même plus à pousser mon vélo. Je m'installe dans la boutique et attends. Mais ça ne fait qu'empirer tout au long de la journée pour se transformer en tempête de sable. L'apocalypse. Je reste bien sagement dans la boutique (avec tous mes amis qui ont pour l'heure encore moins de raisons d'en sortir) en me félicitant de ne pas être parti ce matin. De plus, on ne voit rien du tout. Difficile de réaliser que je me trouve au même endroit qu'hier. Ce qui me tracasse tout de même un peu, c'est que je vais devoir à nouveau camper ici, mais dans la tempête cette fois-ci. Heureusement, je me trouve un petit cratère dans lequel je peux un peu m'abriter du vent. Il faut juste espérer qu'il ne pleuvra pas à verse sinon c'est là que toute l'eau va s'acheminer et je risque de me réveiller dans une piscine. Mais le vent souffle tellement que je préfère prendre le risque.

Après cette nuit chaotique mais qui finalement s'est relativement pas trop mal déroulée vu les circonstances, je reprends enfin ma route. Le vent est maintenant gentil et dans mon dos alors que le ciel est tout bleu. Idéal. Le pied.




Mais la fête est de courte durée car après une heure à rouler peinard le long d'autres glaciers (encore), le vent reprend la même sérénade que la veille. Cette fois, par contre, je suis pris en plein dedans. Pas moyen d'y échapper. Et le calvaire commence. Plus moyen de pédaler, je dois pousser. Ras-le-bol! Après une heure à ce régime-là, j'arrive à trouver un abri sous un pont, le seul endroit possible dans ce paysage plat. Je m'y écroule pendant deux heures en attendant que ça se calme un peu et j'arrive finalement le soir, déglingué, en ayant glorieusement parcouru 50 km en cinq heures. Dur.

Je suis maintenant près du parc national de Skaftafell, un lieu touristique très renommé. C'est la deuxième fois que je viens ici et je n'ai toujours pas compris pourquoi cet endroit en particulier attire autant de monde. Non pas que ça n'en vaille pas la peine, loin de là. Mais des endroits pareils avec des randonnées tout aussi belles, il y en a des tonnes ailleurs et sans la foule. Car c'est vraiment bondé. J'aurai la réponse à ma question quelques jours plus tard en entendant un type dire : "On voulait aller à Skaftafell, mais il n'y avait pas moyen de se garer au Visitor Center. Donc on est partis." Encore la même histoire: le centre d'information et la boutique. C'est vraiment triste, tous ces gens qui viennent ici en ne voyant que ça. Ce qui est sûr, c'est que moi aussi, je passe mon chemin, et pas parce que je n'arrive pas à m'y garer. Mais avant ça, je fais tout de même un petit crochet à pied jusqu'à la superbe cascade de Svartifoss.


J'y rencontre un guide de montagne qui me confirme que les routes du centre ne sont toujours pas ouvertes et ne le seront pas avant juillet. Mon plan initial de traverser l'île par le centre tombe donc malheureusement définitivement à l'eau. J'ai vraiment bien fait de prendre mon temps jusqu'ici avec toutes ces randonnées.

Pendant les deux jours qui suivent, je suis bloqué au camping par le temps. C'est le déluge et la température rechute drastiquement. On est le 12 juin, jour où la petite boule de poils que je suis vint au monde, et j'avais espéré avoir des conditions idéales en guise de cadeau d'anniversaire. Que dalle! Je suis juste condamné à attendre que ça s'améliore. Et sans bière, en plus!

Durant la nuit, une chose très étrange se passe: j'ai froid dans mon super sac de couchage en duvet. Je ne comprends pas pourquoi car je peux dormir dedans jusque 0 °C sans problème, et nu évidemment. Aurait-il pris l'humidité avec toute cette flotte et ainsi serait devenu inefficace? J'ai vraiment froid et à partir de 3h, ne peux plus dormir. Je mets un pull et un collant, ce qui bien sûr n'arrange rien car mettre une couche isolante entre son corps et les plumes anéantit tout simplement le pouvoir calorifique de ces dernières. A 4h, je veux sortir de ma tente pour pisser et je constate avec stupeur que la toile est couverte d'une pellicule de glace. Eh bien la voilà, la réponse à mon problème: il gèle car le ciel s'est complètement dégagé. Je n'aurais pas imaginé ça en plein mois de juin, mais il fait juste trop froid pour mon sac de couchage. Inutile de trainer, je replie mes affaires pour aller me réchauffer et me préparer dans la salle commune.

Je prends ainsi la route à 7h. Il fait caillant, mais à cette heure, il n'y a aucun trafic. La route est à moi. De plus, grâce à ce temps clair j'ai une vue magnifique sur les immenses étendues que je traverse. C'aurait vraiment été dommage de ne rien voir de tout cela. J'ai bien fait d'attendre plusieurs jours.






Je parcours ainsi pendant les deux jours qui suivent 150 km de désert magnifique. Je parviens à un moment à l'embranchement que j'avais prévu de prendre pour m'aventurer dans le centre de l'île si le temps me l'avait permis. C'est avec un petit pincement de coeur que je laisse passer les plaques de signalisation car c'était tout de même la raison principale qui avait motivé mon retour ici. Mais c'est peut-être le signe que je devrai revenir une autre fois...




J'arrive ainsi à Vík, qui marque l'entrée dans la zone plus habitée et agricole de l'Islande.






mercredi 10 juin 2015


Islande - Les fjords de l'est

26 mai. L'arrivée en Islande est tout simplement magique. Dès le réveil, je me rends sur le pont pour assister à l'entrée dans le fjord et, première constatation, le ciel est tout bleu. Inespéré. Deuxième constatation, tout est couvert de neige. Je m'attendais bien sûr à de la neige sur les sommets, voire un peu plus vu qu'on m'avait prévenu que l'hiver dernier avait été un des plus rigoureux depuis les 25 dernières années, mais là, elle descend presque jusqu'au niveau de la mer. J'étais loin de m'attendre à ça. Tant de neige avec un ciel aussi bleu rendent le paysage encore plus splendide. Je n'aurais pas pu imaginer entrée plus majestueuse en Islande. Il ne manque que le drakkar et ç'aurait été parfait. Par contre, il fait évidemment bien plus caillant que prévu et je dois retourner en cabine pour mettre des couches en plus. Ca promet des joyeusetés, ce froid.




Seyðisfjörður
Une fois à terre au port de Seyðisfjörður, le thermomètre annonce 2 °C. Voilà, on est fixé. Mais ce n'est pas bien grave car vu ce qui m'attend, je préfère du froid bien sec plutôt qu'une douche glacée. En effet, pour sortir du port, la route grimpe d'emblée jusque 700 mètres pendant 10 km pour redescendre de l'autre côté de la montagne. Pas d'autre choix, pas de mise en jambes, il faut directement se taper un col, à froid. Je prends donc la route en compagnie de mes deux potes cyclistes, mais à peine parti, je m'arrête pour une photo du navire dans le port. C'est là que mes compagnons font demi-tour pour me rejoindre et me dire qu'ils préfèrent déjà me dire au revoir au cas où on ne se reverrait plus. Ils m'avaient prévenu qu'ils désiraient couvrir le plus de distance possible chaque jour, sans trainer. Chacun vit son trip comme il le veut, mais je trouve quand même dommage de filer dans un paysage pareil sans prendre le temps de l'apprécier. Moi, c'est complètement l'inverse, je compte bien prendre mon temps et profiter un max de tout ce que je vois, d'autant plus depuis que j'ai eu la confirmation que les routes du centre sont toujours impraticables et que je devrai, au mieux, attendre la mi-juin pour pouvoir réaliser mon plan initial de traverser l'île du sud au nord. J'ai donc vraiment tout le temps de sillonner les chemins par ci par là. Ainsi, mes compagnons me rejoignent, on se salue, on se souhaite le meilleur, et les voilà qui commencent à tracer devant moi. Je suis impressionné car ils me laissent très vite sur place alors qu'ils sont aussi chargés que moi. La seule chose que je trouve bizarre et qui me fait un peu douter, c'est qu'ils ne moulinent pas beaucoup. Ils poussent sur leurs pédales commes des forcenés. Ils sont ou bien très forts ou bien... Et ça ne rate pas. Après 10 minutes, je les vois un peu plus loin descendre de vélo pour le pousser. Il faut dire que la pente est par moments bien escarpée, et se la taper sans échauffement et par un froid pareil, c'est costaud. Mais avec leur technique, c'était carrément perdu d'avance. Je souffle d'ailleurs comme un phoque et j'ai du mal à trouver mon rythme, mais il finit par venir et je parviens à monter gentiment, mais sûrement. Je suis ravi car il fait splendide et grimper comme ça dans la neige est vraiment extra. Le pied. Pour le même prix, ç'aurait pu être dans le brouillard et sous les averses de neige. Je dépasse les deux autres et continue ma route jusqu'au sommet où un autre cycliste, beaucoup moins chargé, me rejoint, et on fait connaissance. Simon voyage avec le strict minimum, très léger, alors que je préfère avoir un peu plus de poids mais avoir tout pour mon auto-suffisance. Lui va tous les jours au restaurant alors que je préfère faire ma popote. Ca lui coûte d'ailleurs une blinde dans un pays comme celui-ci mais c'est sa manière de voyager. L'avantage, c'est que cette côte, il la monte peinard. 




Les deux autres arrivent finalement et je leur demande tout de même ce qui s'est passé, s'ils ont eu un souci. Ah non, pas du tout, c'était trop dur, me dit l'un d'eux avec un petit sourire gêné. Quand je pense qu'hier il nous faisait une dissertation sur le limites du corps humain à toujours repousser à la force du mental, qu'il avait déjà marché 82 km en une journée, et qu'il y a toujours moyen car tout est dans la tête... Il m'avait d'ailleurs bien gonflé avec sa tirade et je m'étais dit qu'on n'allait finalement pas faire beaucoup de chemin ensemble. Eh bien, elles sont toutes vues, ses limites. Et j'ai l'impression qu'il aime bien raconter des histoires. En tout cas, bonne chance pour la suite car elles ne sont pas près de s'arrêter, les difficultés.

Je m'emmitoufle pour la descente car je suis en sueur et il gèle. Le paysage est à couper le souffle et la vue est grandiose. Je descends à mon aise pour bien en profiter, prendre des photos et aussi ne pas avoir trop froid, tandis que les deux lascars filent comme des balles jusqu'en bas. De mieux en mieux. On n'est décidément pas faits pour voyager ensemble et c'est très bien qu'ils prennent le large.




Après avoir fait mes provisions à la ville principale du coin, je reprends la route, accompagné de Simon. Il est chouette mais assez bizarre. Il parle par saccades, un peu comme un robot, et a l'air un peu déphasé. Il me fait rire. On enchaîne donc ensemble notre deuxième col de la journée au milieu de nulle part. On a même droit à une averse de neige au sommet, après lequel on arrive à Reyðarfjörðdur pour planter notre tente.



On est seuls, il fait très froid et je suis fatigué. Pour notre première journée en Islande, ça fait beaucoup d'émotions et pas mal de boulot. C'est là que Simon sort trois grandes cannettes de bière de ses sacs. Déjà qu'il ne transporte presque rien, voilà qu'il a en plus des pils. On rit et il m'explique qu'il lui faut de la bière tous les jours, qu'il n'envisage pas une journée de vélo sans bière à la clé. C'est drôle.

Ici, il n'y a plus de nuit. Le soleil se couche à 23h30 pour se lever à 2h30, le crépuscule et l'aube étant confondus. Pendant cette période, il y a juste une petite baisse de clarté, comme si un gros nuage passait. Rien de plus. Pouvoir lire en camping sans lampe de poche, c'est le top. Pour dormir, c'est parfois plus difficile, mais on s'accomode.

Le lendemain, le gardien du camping est là et voilà qu'il me lâche quelques mots en français. Il a vécu cinq ans avenue Franklin Roosevelt, le peï. C'est la meilleure, ça. Il nous dit qu'il gère également le prochain camping sur la route et qu'on peut y séjourner gratuitement car il n'ouvre que la semaine prochaine. Ca fait partie des plaisirs du voyage hors-saison. La température n'est peut-être pas encore là, mais on a d'autres petits avantages, comme l'inestimable absence de tourisme de masse. Il n'y a personne. On prend d'ailleurs une route non pavée qui longe un fjord et elle est à nous. Moins de dix voitures sur la journée. Et ça, ça compense pas mal le fait de se les geler. Car on se les gèle bien. Je dois parfois descendre de vélo pour marcher afin de me réchauffer les pieds tellement ça fait mal. Mais ce que je suis heureux de me retrouver là! Le paysage est absolument grandiose.






A un moment, Simon prend de l'avance et je termine l'étape seul pour arriver au camping précité sans l'y voir. Je me dis qu'il a préféré continuer jusqu'au prochain bled, que mon rythme était trop lent pour lui. Mais une heure plus tard, je le vois arriver, visiblement un peu caisse. "Tu n'as pas vu mon vélo devant le restaurant? J'ai mangé et bu des bières en t'attendant.", dit-il, ravi d'avoir clôturé son étape dans les règles de l'art. Il me fait rire. Et tout ça avec sa voix de Transformers. Après avoir planté sa tente, il décide d'aller faire un tour au magasin du village pour en revenir avec des victuailles, c'est-à-dire bien entendu, des pils. Il avait un peu de place à combler dans un de ses sacs. Je ris. J'en bois une difficilement avec lui car je suis crevé et j'ai froid, mais lui, c'est son fuel. Il me dit, avant que j'aille me coucher, qu'il partira tôt le lendemain et ira plus loin que ce que j'ai prévu. C'est donc ici que nos chemins se séparent. On n'a passé que deux jours ensemble, mais c'était bien sympa. Premier compagnon de route depuis que je suis parti.





Il bruine de temps en temps. Le ciel est très changeant, entre soleil et gros nuages, mais de manière générale, la météo est jusqu'ici plutôt satisfaisante, froide mais pas trop venteuse. Je continue ma route le long des fjords de la côte est et c'est toujours aussi beau. Je m'arrête pendant deux jours dans un camping gratuit à Breiðdalsvík, histoire de prendre un peu de repos. Des toilettes chauffées et propres avec de l'eau chaude sont à disposition pour le confort des voyageurs. C'est génial. Je rencontre le propriétaire du terrain, que je remercie pour son initiative généreuse. Il fait ça pour aider les gens. Il a des frais d'entretien, de chauffage et d'électricité, mais il s'en fout. C'est son trip. Il m'invite même à passer chez lui au cas où il y aurait trop de vent. Un bon gars. Il me dit également qu'ils attendent tous l'été avec impatience et qu'ils en ont marre de ce froid, inhabituel pour la saison. On oscille entre 4 et 6 degrés pour le moment. Toute une journée à vélo, c'est très froid. Je ne peux que plussoyer.

Breiðdalsvík
Mais le bon temps ne pouvait pas durer éternellement. Le ciel se couvre un après-midi et la pluie commence, fine et presque pas dérangeante au début, mais constante et insidieuse car après une heure, je suis trempé. Ce qui me dérange le plus, c'est que je ne vois plus rien du paysage et ne peux plus en profiter. Le vent se joint à la partie et je termine ainsi mon étape rincé, frigorifié et sans avoir pu voir les 40 derniers kilomètres. Totalement sans intérêt et typiquement le genre de truc que j'essaie d'éviter autant que possible. Mais quand on est pris dedans, on n'a pas le choix.



Avant d'entrer dans la poisse
Djúpivogur entre deux averses
Le lendemain, c'est pire, on ne voit rien du tout. Je reste donc au camping, qui dispose d'une pièce et d'une cuisine communes. Tout ce qu'il faut en cas de grain. Je suis à Djúpivogur, un petit bled qui compte un seul magasin où la nourriture coûte la peau de fesses. Mes provisions s'amenuisent et j'aimerais pouvoir faire mes courses dans un endroit plus abordable car les magasins étant rares, j'achète généralement en masse pour plusieurs jours. De plus, une journée ici enfermé à ne rien foutre, c'est bien pour se reposer le corps, mais ça donne vite envie de se barrer. 80 km me séparent de la prochaine ville plus importante, Höfn, et je décide de partir coûte que coûte le lendemain de bonne heure. Il faut que je bouge. Si j'avais su...

Le vent ne fait que redoubler durant la nuit. Ma tente est secouée dans tous les sens et je parviens à seulement dormir par à-coups. Impossible. La toile claque comme un fouet et le vent me soulève par le sol. A 3h, j'en ai marre. Il est indiqué qu'il est interdit de dormir dans la salle commune sous peine d'amende, mais je n'en suis plus à ça. Qu'ils viennent tenter de dormir dehors là maintenant et on en reparlera. Il fait plein jour et je replie mon barda qui s'envole pour aller m'installer sur le canapé à l'intérieur où je ne fais que somnoler. A 7h30, je suis tellement résolu à partir que j'y vais. Le vent est toujours infernal et il neige légèrement. Un délice. Mais j'ai le moral gonflé à bloc et ça ne m'arrête pas. Bien entendu, j'ai le vent de face. Une dure lutte s'engage, interminable. Je n'avance pas. Pénible. Je consulte mon compteur: 6 km en 45 minutes. A cette vitesse-là, je ne suis pas près d'arriver. La ferveur et l'enthousiasme qui m'habitaient au départ se sont calmés pour laisser place à un peu plus de raison. J'ai été con, j'aurais dû rester. Mais ma surmotivation m'en empêchait. Maintenant, c'est bon, j'ai compris. Après une énième rafale qui manque de me renverser, je décide de faire demi-tour. Le vent me pousse tellement fort qu'en un quart-d'heure, je suis de retour au camping. Tout ça pour ça.

Je vais consulter la météo à l'office du tourisme à présent ouvert et, en compagnie de la charmante employée, je constate que le vent est de 75 km/h. Sans blague, que je n'y arrivais pas. Cependant, on annonce une baisse de moitié à la mi-journée. Ce sera toujours fort, mais plus gérable. J'aviserai à ce moment-là. En attendant, je retourne m'écrouler sur le canapé du camping où ma super nuit me rattrape.

Je me réveille à 11h, le soleil est là. Je sens la motivation revenir, et après avoir vérifié à l'office du tourisme que le vent avait bien baissé de moitié, je décide de retenter l'épreuve. De plus, je constate qu'une fois le fjord passé, le vent sera moins fort. On y va. C'est fois, j'avance un peu plus vite. Ce n'est pas la gloire, mais c'est bien mieux. Et il fait un peu meilleur, on est à 6 °C. Mais arrivé à l'endroit exact où j'ai rebroussé chemin plus tôt, je manque à nouveau de me retrouver les quatre fers en l'air. Mais cette fois, je veux continuer jusqu'au fond du fjord où j'aurai le vent de dos et ensuite ça devrait aller. J'alterne entre pédaler et pousser mon vélo, car il est par moment impossible de tenir en équilibre dessus. Mais plus j'approche du fond du fjord et plus le vent est fort, m'obligeant à faire les derniers kilomètres en marchant. Heureusement qu'il a baissé depuis ce matin... Je tourne lentement, me retrouvant progressivement avec le vent de côté, et c'est encore pire. Je commence à stresser, j'ai peur de m'envoler et de me faire mal, et mes bras s'ankylosent à force de résister au vent. Petit à petit, je me retrouve avec le vent de dos et dois maintenant retenir mon vélo pour ne pas qu'il se tire. C'est le moment de remonter en selle. Freins à bloc, casque sur la tête, fesses serrées, j'enfourche prudemment l'animal puis je lâche tout. Et c'est le catapultage. Je file comme un pet sur une toile cirée. Ca a l'air sympa ainsi, mais pas du tout. Je me sens comme sur une moto sauf que je n'ai aucun contrôle sur le moteur. Les rafales sont trop dangereuses et j'ai même un pied près du sol au cas où je devrais rattraper une chute. Freiner en côte: une première pour moi. Je sors enfin du fjord en espérant que ça s'améliore, mais non. Merci les prévisions météo! A nouveau, le vent est de côté, à nouveau, je dois marcher. J'en suis à 25 km en 2h30 et je n'en peux déjà plus. Je vois des granges au loin, il faut que je m'y arrête. Je ne peux pas continuer ainsi, c'est trop dangereux en plus d'être épuisant. Je n'arrive maintenant même plus à pousser mon vélo. J'essaie juste de tenir debout. C'est là qu'une voiture s'arrête. La conductrice me demande si je suis OK. Sans l'once d'une hésitation, je lui dis que non. On charge mon vélo dans sa caisse et je m'affale sur le siège avant. Elle parle mal anglais et, un peu stressée de prendre un inconnu malgré son envie d'aider, elle me dit: "You don't kill me?" 

Il n'y a pas à dire, c'est plus facile en voiture. Ce qui est sûr aussi, c'est que pour rien au monde je ne troquerais mon vélo contre une bagnole ici car on va beaucoup trop vite. On parcourt ainsi en une heure ce qui m'aurait pris la journée à vélo. Ce qu'on voit est fabuleux, mais on n'a pas le temps de tout enregistrer. On enchaîne trop de trucs. On ne fait pas de photo, les paysages défilent les uns après les autres. La différence avec ce que j'emmagasine comme souvenirs sur mon vélo est phénoménale. J'aurais aimé faire ces 60 bornes à vélo, quand j'y repense, mais c'était impossible à ce moment. Même si j'ai un peu le sentiment d'avoir manqué quelque chose, je n'ai qu'à m'y résoudre en me disant que ça fait partie de l'aventure islandaise et je suis de toute façon bien content que cette fille soit venue à mon aide. A un moment, je pense lui demander de me déposer à un endroit où on semble être sortis des turbulences, mais c'est là que la voiture bouge sous le coup d'une rafale, donc j'abandonne l'idée et me résigne. Ce vent renverse des camions, me dira plus tard un gars du coin. Les rafales passaient les 80 km/h.

Avant d'arriver à Höfn, au sortir d'un tunnel, les glaciers apparaissent devant nous, d'un coup. Quelle beauté! Le paysage a radicalement changé. On est passé des routes sinueuses le long des fjords aux immenses plaines bordées de montagnes dont se déversent des tonnes de glace. Ca, ce sera pour la prochaine étape. En attendant, arrivé à destination et après avoir chaleureusement remercié ma sauveuse, je me rends à l'auberge. Hors de question que je me frotte encore au vent aujourd'hui. J'ai donné pour le moment et ai besoin d'une vraie nuit de sommeil. Je roupille pendant dix heures comme un bébé.

Première semaine en Islande à la hauteur de mes attentes: du super et du difficile. De l'intense dans tous les cas. Extra!