lundi 18 novembre 2013


Laponie - Toutes les bonnes choses ont une fin

Les jours se suivent et se ressemblent, d'une inactivité et d'un ennui déprimants. Non seulement on passe le plus clair de notre temps à glander, mais les activités dont on nous charge sont plutôt... merdiques. Malheureusement, Tommi est tombé assez gravement malade, ce qui fait que la seule personne des lieux qui rende le travail un peu agréable et se charge de nous aiguiller et nous apprendre les choses n'est plus là. On s'en réfère donc maintenant directement à Outi pour nos attributions. Vu qu'elle n'en sait rien et qu'il n'y a de toute façon pas grand-chose à foutre, sa réponse favorite est: "Clean the farm", en d'autres mots: "Allez ramasser du caca." Ainsi, nos journées se résument à passer 1h30 à nourrir les chiens et tous les deux ou trois jours, on nettoie les cages. C'est pratiquement tout. Ras-le-bol! Que cela fasse partie des tâches à accomplir, bien sûr. Mais j'ai de plus en plus l'impression qu'on est là juste pour faire leur sale boulot et que ça se limite à cela. De temps en temps, des touristes viennent pour faire un tour en traîneau. On aide alors à l'harnachement des chiens puis on reste sur le carreau en les regardant partir avec le boss, qui n'a pas un regard pour nous, et on s'en retourne à notre collecte de crottes.

Un matin, j'alpague Outi pour lui en parler, bien lui faire comprendre que je me fais chier comme un rat mort et que j'attends autre chose de mon séjour ici que de faire le larbin de ferme. Je la sens un peu prise au dépourvu. Elle me dit ne pas comprendre pourquoi les volontaires sont toujours déçus, qu'ils s'attendent toujours à faire plus de traîneau. Je n'en reviens pas... Et quoi, tu t'imagines que les gens viennent jusqu'ici juste pour le plaisir savoureux de ramasser de la merde? On nage en plein délire. Pour me rassurer, elle me dit que vu que je reste tout l'hiver, je pourrais peut-être devenir assistant-guide en fin de saison, au début du printemps. Mais je dois prouver ce que je vaux pour y arriver et je peux commencer par apprendre le nom de tous les chiens. La quatrième dimension... Afin d'être sûr que l'on parle de la même chose, je lui demande en quoi consiste ce job d'assistant-guide. La réponse est claire: accompagner les safaris et tours en traîneau. Aux dernières nouvelles, j'avais été très clair par mail sur mes attentes ici et c'est exactement ce job qui était ma principale motivation. C'est pour ça que je suis là. Je garde mon calme et lui demande donc ce que je suis sensé faire en attendant cette lointaine période de la fin de saison et espérer peut-être faire partie des safaris. Elle m'explique que je dois accueillir les touristes, leur donner des habits ad hoc, leur expliquer les choses, préparer l'attelage, etc. Et je n'accompagne pas? Ah non, pas d'office. Eventuellement, à l'occasion, je pourrais accompagner, mais ce n'est pas le but... Foutage de gueule, ni plus ni moins. Je ne me démonte pas, reste stoïque en apparence et décide sur-le-champ de me tirer d'ici sans plus trop tarder.

Le problème est que j'avais tellement de motivation pour ce job et qu'après avoir fait le déplacement avec tout l'investissement personnel que cela implique, je n'arrive pas à me résoudre à plier bagages. Je n'ai toujours pas mis les pieds sur un traîneau et j'aimerais tout de même bien en tâter un peu avant de tirer ma révérence, histoire de ne pas être venu totalement pour rien.

Le lendemain au déjeuner, Outi s'approche de moi, l'air d'être dans ses petits souliers: "Par rapport à ce que j'ai dit hier, je voulais dire qu'il ne fallait pas s'attendre à faire du traîneau tous les jours, mais bien sûr que tu accompagneras parfois les safaris." Tu ne serais pas en train d'essayer de rattraper le coup, toi? Connaissant ma capacité à dissimuler ce que je pense, elle a sûrement dû lire sur ma tronche que j'appréciais moyennement qu'on joue avec mes roustons (de la sorte, du moins) et que je risquais de me tirer.

Comme par hasard, le jour qui suit, le patron, dont j'ai enfin pu retenir qu'il se prénomme Juha-Pekka, vient nous chercher pour aller entraîner les chiens de course. Chacun aura son traîneau, c'est parfait! Il s'adresse à nous pour une des toutes premières fois afin de nous donner quelques instructions de base et de nous désigner les chiens qui formeront nos attelages respectifs. Heureusement que j'en ai déjà fait car ses talents d'orateur sont à l'image de son attitude et d'ailleurs, Leon ne capte rien. Je m'empresse donc de lui expliquer ce dont je me souviens de mon expérience précédente. Sans crier gare ni vérifier qu'on est bien prêts, le boss met les voiles et on parvient de justesse à le suivre. On s'enfonce dans les bois avoisinants sur des petits sentiers pendant une heure. Vu le manque de neige, ça secoue vachement. Mais même avec ces conditions loin d'être favorables, je jubile. Après autant de désillusions, je peux enfin prendre mon pied et faire ce pour quoi je suis là. Je m'en donne à cœur joie. Plaisir! Leon, qui en est à sa première fois, se retrouve quelques fois les quatre fers en l'air et je suis ravi d'arriver à rester tout le temps debout malgré les cailloux et souches jonchant le trajet. Il s'en faut de peu pour que je me fasse éjecter du traîneau par deux fois mais je tiens bon avec toute la grâce féline qui me caractérise.

Au retour, le boss est fidèle à lui-même, aucun commentaire. C'était le pied, je me suis éclaté, mais je ne suis pas dupe. Cela m'avait tout l'air d'être la carotte qu'on tend pour laisser entrevoir ce qu'on pourrait manquer. Malheureusement pour eux, cela ne fait que renforcer mon désir de partir car ma manière de voir les choses, c'est que le traîneau, maintenant au moins, j'en ai fait, je peux me tirer. Quelques jours plus tard, on fait deux autres sorties, de plus dans le noir. Quand le soleil se couche à 15h, on n'a plus beaucoup d'options. Très intéressant. A la lampe frontale, sans voir grand-chose, c'est sport. Le traîneau, c'est fait, pas de regrets!

On passe ensuite quelques jours à entraîner les jeunes chiens de l'année passée en les attelant à un van que l'on fait rouler lentement derrière eux. Cela leur permet de s'entraîner à courir en rang tout en tirant ainsi que d'apprendre à écouter les ordres qu'on leur donne pour la direction. Une bonne bouffée d'air frais. Cela nous permet enfin de travailler un peu avec les chiens et de sortir de notre enclos, de voir un peu les environs. On réalise malgré tout que ce qu'on vit là est sans doute l'assignation la plus excitante à laquelle on aura droit dans les mois qui viennent. Un peu limité.



Le troisième pigeon est arrivé depuis une semaine. Au cas où on aurait encore eu quelques doutes, le constat est clair: notre cagibi est bien trop petit. Pour preuve, mon mal crâne au réveil du premier matin à trois. L'air est vicié comme dans une poubelle. Ca sent le vieux bouc chaud et moite et les vitres ruissellent de condensation. C'est dégueulasse. Je parviens sans aucun mal à leur faire accepter d'ouvrir la fenêtre pendant la nuit. Il fait bien caillant, mais l'évidence est là: si on continue à dormir à trois enfermés là-dedans sans aération, on va y laisser notre peau. L'argument est de poids. J'ai gagné, on dort à présent dans une chambre froide.


La monotonie des jours suivants est ponctuée de la visite à plusieurs reprise d'un troupeau de rennes qui viennent paître en fouillant le tapis de neige autour de la ferme.


On a aussi le plaisir d'accueillir trois portées de chiots.


On a également enfin droit à une aurore boréale après trois semaines à scruter tous les soirs le ciel dans l'espoir d'assister à ce spectacle. Majestueux et grandiose. Je m'en fous plein la vue, un grand sourire béat aux lèvre. Le jeu du mouvement des couleurs est impressionnant, entre vert et rose. Une aurore boréale, check!




Cela fait maintenant un mois que je me morfonds ici, chaque jour plus désenchanté que le précédent, et après les quelques expériences positives qui ont beaucoup trop rarement relevé la sauce, il est temps que je prenne ma décision. Je change donc mon billet de retour pour dans six jours. C'est fait. Il ne reste maintenant plus qu'à l'annoncer à mes chers patrons. Je suis très curieux de voir leur réaction mais une chose est claire, le fait d'avoir mon retour fixé et concrétisé me soulage d'ores et déjà d'un grand poids.

Le lendemain, alors que je suis dans le sous-sol de la maison des patrons en train de me changer en homme qui va travailler, j'entends qu'Outi est à l'étage. Inutile de postposer, autant se débarrasser de cette corvée le plus vite possible, allons lui annoncer immédiatement que je me tire la semaine prochaine. Je monte donc et frappe à leur porte. Elle m'ouvre. Je n'ai pas l'intention de rentrer dans le détail et de polémiquer sur les conditions de merde dans lesquelles j'ai vécu pendant un mois, ça n'apporterait pas grand-chose et de plus je dois encore passer six jours ici. Ce serait difficile de faire pire que ce que j'ai connu, mais autant éviter d'envenimer les choses. J'ai donc opté pour la vérité édulcorée et non un baratin à deux balles du genre "Ma proprio se ballade à poil dans ma rue, je dois rentrer." De but en blanc, je lui annonce: "Je peux te parler une minute? Je m'ennuie, j'ai besoin de plus d'action. Je pars jeudi prochain." On est samedi. Elle me rétorque sans se démonter le moins du monde qu'elle s'y attendait, que c'est toujours difficile en début de saison avec la neige qui manque. Et puis, aurais-je laissé transparaître une quelconque insatisfaction? J'arrive pourtant généralement bien à dissimuler ce que je pense... "That's fine", me dit-elle. Aucune question sur ce qui a été ou pas. Non. C'est la faute à la neige, point. Bravo la remise en question. Mon départ n'a bien entendu rien du tout à voir avec la quantité de neige, mais tout cela fait parfaitement mon affaire car elle a carrément donné elle-même une explication qui lui convient et qui me permet de m'en tirer gentiment sans avoir le boss qui me tombe dessus pour me mordre une oreille. Pour l'anecdote, c'est ce qu'il fait parfois aux chiens récalcitrants pour leur montrer qui est le chef. Il les mord. Un des chiens a d'ailleurs un morceau d'oreille en moins. Devait pas être content, ce jour-là, le Juha.

L'échange avec Outi est tellement bref et laconique, sans aucune expression, rancœur ni déception de sa part, que j'en suis déstabilisé et ressens le besoin de m'expliquer un peu plus. "J'ai longtemps hésité à attendre encore pour voir comment les choses évoluent mais..." Elle me coupe presque la chique en me répétant "That's fine", l'air de me dire que ce n'est pas la peine de me justifier, c'est bon, tout va bien. Un petit mot de regret sur le fait que j'écourte tout de même un projet de six mois à un? Une discussion? Un debriefing? Que nenni! Ca sert à quoi? Des faits, rien d'autre. Je me barre, le message est reçu. Rien à foutre de ma tronche. Je me demande si ces gens ont une quelconque notion de ce qu'est un sentiment. Quelle froideur!

Je redescends donc sans plus m'éterniser. Je croise ensuite le boss mais n'éprouve même pas le besoin de lui faire part de ma décision. La parlote n'a jamais été son fort et à tous les coups, il va juste me regarder avec ses yeux de merlan frit en lâchant un borborygme qui manifestera tout son désintérêt. Il le saura bien par sa femme, de toute manière. Tout cela fait parfaitement mon affaire, je vais pouvoir vivre les six jours qu'il me reste à tirer ici sereinement. Quand je vois l'état d'allégresse dans lequel cela me met, force est de constater que j'ai fait le bon choix.

Mes deux compagnons de cellule envisagent aussi d'écourter leur séjour, même le troisième qui n'est là que depuis une semaine. Il ne m'avait pas non plus fallu beaucoup plus de temps pour déjà me faire une idée assez correcte de la chose. Je me demande si les patrons se remettront alors en question et réaliseront que le manque de neige en suffisance n'est pas le nœud du problème.

En tout cas, maintenant ce n'est plus le mien, de problème. Ivalo, pour moi, c'est bientôt fini. J'ai déjà des réponses positives d'autres endroits en Norvège et en Suède où je pourrais éventuellement continuer l'aventure dans le milieu des mushers. Mais je tiens d'abord à rentrer faire un petit break à Bruxelles afin de refaire le plein de bonnes choses et d'analyser ces opportunités qui me sont offertes à tête reposée et non dans la précipitation de quitter ce lieu maudit. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai plus trop envie de tenter le coup du "on verra bien sur place" et si je pouvais éviter de foncer tête baissée dans le même genre de traquenard, ça m'arrangerait.


Quoi qu'il en soit et qu'il advienne, l'expérience canine que j'ai vécue ici pendant un mois est des plus positives. De bonnes bêtes sous tous rapports. Rien à redire à cela! Quoique s'ils pouvaient chier un peu moins... De vraies usines à merde!


jeudi 31 octobre 2013


Laponie - Premières impressions... à froid

Et c'est reparti! 15 octobre. Je m'envole pour Ivalo, en pleine Laponie finlandaise, afin de passer six mois dans une guesthouse offrant des safaris en traîneau à chiens. Ayant déjà participé à ce genre d'aventure il y a quelques années et ayant été comblé, j'ai toujours voulu tenter à nouveau l'expérience mais en la vivant si possible autrement qu'en touriste et sur un plus long terme afin d'en découvrir plus de facettes. A l'issue de longues recherches, je me suis donc dégoté cette compagnie en demande de main-d'oeuvre et ai décidé de tenter le coup avec elle. Le deal est simple: en échange de quelques heures de boulot par jour, je suis logé, nourri, blanchi, et surtout je participe aux raids. De plus, cela me permettra de vivre un hiver arctique complet avec toutes les difficultés un peu mystiques qu'il a toujours revêtues à mes yeux: le froid intense et la nuit polaire. Un peu me transformer en homme du froid local l'espace d'une saison, en somme. On va du moins essayer... En arrivant dès la mi-octobre, je devrais pouvoir ainsi assister à l'arrivée de l'hiver. Je me suis donc lancé en ayant toujours plein d'interrogations quant aux aspects pratiques de la chose, réalisant que la plupart d'entres elles ne trouveraient leur réponse qu'une fois sur place. Allons-y donc, on verra bien!

Après avoir fait escale à Helsinki et passé la nuit tant bien que mal sur des banquettes ultra dures dans les couloirs de l'aéroport, j'embarque dans ma correspondance du lendemain pour Ivalo, complètement déglingué et déphasé. C'est bizarre, l'avion est plein. Mais qui va donc à Ivalo en plein mois d'octobre? Il n'y a rien à y faire hors saison...

Je suis accueilli dans le petit aéroport d'Ivalo vers midi par Outi, la patronne, qui au vu de mon sac à dos s'amuse du peu de vêtements que j'ai emportés. Trois slips et deux t-shirts, c'est tout ce qu'il faut, non? Après les présentations de rigueur, nous voilà en route pour la guesthouse. C'est marrant, j'avais commencé et terminé ici un voyage à vélo il y a plusieurs années et je reconnais encore parfaitement l'endroit, aussi bien l'aéroport que la route. Comme si c'était hier.

La première neige est tombée hier et recouvre le sol par endroits d'une fine pellicule. L'hiver frappe déjà à la porte et dans peu de temps, le sol ne sera plus visible pendant plusieurs mois. Moi qui voulais arriver suffisamment tôt afin de pouvoir assister à la tombée des premières neiges, je suis verni. Juste à temps.

On traverse le centre d'Ivalo, principal centre administratif et commercial de la région. Dans les faits, c'est juste un gros village qui comporte tout ce qui est nécessaire à toute personne vivant dans un rayon de 200 km. On pourrait dès lors penser que la guesthouse est située sur ses abords et donc que mon séjour ici ne ferait finalement pas de moi quelqu'un de trop exilé. Mais non... Car à la sortie du village, Outi s'engage sur une route de terre qui, à chaque mètre parcouru nous éloigne un peu plus de la civilisation et nous enfonce plus profondément dans les bois. La fine neige tombée hier recouvre encore presque complètement la route, tellement les passages par ici sont rares.

Dix minutes plus tard, notre destination apparaît devant nous. Je vois d'abord l'enclos, grand, avec sa bonne centaine de chiens, et juste derrière, la ferme et la guesthouse. On est définitivement au milieu de nulle part, en plein centre de rien. Les sapins sont nos seuls voisins et les chiens nos seuls compagnons.

Guesthouse

Outi me débarque et entame un petit tour du propriétaire en commençant par la guesthouse. Elle est totalement neuve et il va sans dire que c'est le grand confort, apte à accueillir Madame de la ville. Il y a même un sauna et un ours empaillé en haut des escaliers, qui fout les boules à chaque fois qu'on pointe son nez. Il me faudra une semaine pour m'y habituer et ne plus être surpris par ce monstre prêt à me sauter dessus dans le noir. Outi m'explique que je pourrai disposer des communs à ma guise, cuisine, sauna, douche, machine à laver, etc. En partage avec les clients, qui auront la priorité, bien sûr.

Je fais la connaissance de Leon, jeune Allemand venu bosser dans les mêmes conditions que moi. Il est déjà là depuis une semaine et me dira par après avoir attendu mon arrivée car il se sentait un peu seul. Outi m'emmène ensuite vers la cabane dans laquelle je vais habiter pendant six mois. Pour cela, on traverse la cour et c'est là que je croise le chemin d'un grand type costaud à la démarche lourde et lente, format ours brun. A peu de choses près, celui qui est empaillé dans la guesthouse, les poils en moins et des fringues en plus. "Voici mon mari." Je m'avance vers lui en tendant la main, pressé de rencontrer ce personnage qui va me faire découvrir tous les aspects de la vie de musher (meneur de chiens en français, mais la version anglaise claque plus). Il m'attrape alors chaleureusement la pogne dans sa main puissante et s'exclame, rayonnant: "Salut Val! Heureux de te rencontrer! Bienvenue parmi nous!" En fait, non. Pas du tout. Ca, c'est plutôt la manière dont j'avais imaginé les choses... Car il me fixe d'un regard aussi intense que celui d'un cabillaud, baragouine d'une voix de canard un son sec et étrange qui doit sans doute comporter toutes les formules de politesse et de bienvenue qu'il connaît, me tend, visiblement contraint par mon initiative, une main énorme au tonus d'huître, puis tourne les talons et se barre après avoir dit un truc à sa femme en finnois sans plus noter ma présence. Ca fait pas mal d'animaux pas des plus majestueux pour décrire une première impression faite par un gars. Je me suis déjà pris quelques douches froides, mais celle-là est carrément glacée. Comme accueil d'un type qui vient de loin pour vivre et bosser avec toi pendant six mois, je trouve ça un peu léger. Ce n'est pas la première fois que j'arpente ce genre de contrées isolées au climat rude et je sais que je ne dois pas forcément m'attendre à y trouver les habitants les plus sociables du monde, mais là j'ai affaire à un champion. Mon chasseur bougon et solitaire du Montana qui m'avait fait dormir au milieu de ses peaux de bêtes et de ses arcs à flèches est un exemple de savoir-vivre face à celui-ci.

Je rassemble mes idées et me remets en route derrière mon hôte vers mes futurs quartiers, encore tout chamboulé par ce premier contact plein d'émotion. Lors de notre correspondance préliminaire, elle m'avait parlé d'une cabane que j'aurais à partager avec d'autres gars. Elle avait visiblement omis quelques détails. La cabane est non seulement minuscule avec ses 12 m2, mais elle ne comporte qu'une seule pièce avec trois lits. Je ne pense pas être quelqu'un de difficile et j'ai déjà dormi lors de mes périples dans certains endroits plus improbables les uns que les autres, mais la donne ici est complètement différente et la perspective de passer une saison pour bosser, et ce dans des conditions climatiques parfois très rudes, en vivant continuellement entassés à trois ne m'excite que très moyennement. Dire que j'aurais aimé avoir un peu plus d'espace vital, voire éventuellement un petit coin à moi ne me paraît pas du luxe. On est deux pour le moment mais un troisième larron est annoncé pour novembre. Afin de voir le bon côté des choses, c'est malgré tout confortable avec électricité et chauffage. Pour les sanitaires, il faut traverser les 50 m de cour pour rejoindre la guesthouse. C'est ça ou la forêt juste devant. Ca ne me dérange pas le moins du monde d'aller larguer ma crotte derrière un arbre mais, encore une fois, on parle de vivre ici tous les jours en bossant et non de jouer au baroudeur et l'idée de devoir ressortir dans la nuit glaciale à chaque fois que je dois me soulager ne m'enchante qu'à moitié. Bon... On fera avec, pas le choix. Ca promet des réveils matinaux enchanteurs aux fragrances délicates et subtiles.

Sur ces réflexions, Outi me laisse m'installer et me propose de me joindre ensuite à eux afin d'aller chercher un bateau sur le lac Inari avant qu'il ne soit pris par les glaces d'ici quelques jours. Je n'ai rien mangé depuis mes deux crêpes à 6h après ma charmante nuit dans l'aéroport, j'ai la dalle, mais décide malgré tout de les accompagner, ce sera sans doute l'occasion de voir de belles choses et peut-être de faire un peu connaissance. On embarque donc dans une grosse camionnette, les deux patrons, leurs trois gamins âgés de 6 à 12 ans, Leon et moi en direction du lac. Arrivés à l'embarcadère, Outi nous y laisse tous afin de nous reprendre plus tard à un autre endroit. Le but est maintenant d'aller par le lac jusqu'au chalet qui sert de refuge lors des safaris de plusieurs jours afin d'y faire quelques préparatifs pré-hiver. Avant de partir, alors que je suis en retrait pour prendre des photos, elle me crie de ne pas m'en faire si son mari ne parle pas beaucoup, l'anglais n'est pas sa langue préférée et il est de nature très taiseuse. Merci pour les précisions, mais depuis quand cela empêche-t-il d'être poli et accueillant?

Heureusement, le trajet en bateau est magnifique et je ne regrette pas d'être venu. Malgré mon arrivée plutôt décevante, je me dis très vite que je suis au bon endroit et que j'ai bien fait de venir. Le temps est splendide et les abords du lacs sous les couleurs d'automne ainsi que la lumière du soleil bas sont superbes. Je suis ravi. A cause de la vitesse du bateau, la température passe très vite de froide à carrément glaciale mais je suis bien à l'abri dans mon anorak et je me retrouve bientôt seul à l'extérieur, les autres étant au chaud dans l'habitacle. Je viens à peine d'arriver, encore plein de motivation de la découverte, ce n'est pas pour déjà m'abriter du froid. J'ai trop envie d'en profiter.

Durant la demi-heure de navigation, le boss ne nous parle ni ne nous adresse un seul regard. Rien. Et il en va de même une fois à destination. Il s'affaire en donnant des ordres à ses enfants auxquels ces derniers s'exécutent sans broncher. Leon et moi somme là, prêts et disposés à aider mais son attitude est tellement fermée qu'on n'a même pas envie de lui demander si on peut donner un coup de main. Il le sait, en plus, c'est pour ça qu'on est là. Je me sens un peu de trop, du coup. Pas cool. Leon et moi en profitons pour faire connaissance de notre côté.


Sur le chemin du retour, plus question de me la jouer à l'extérieur, le soleil a disparu derrière les arbres et il fait caillant déjà rien qu'à l'arrêt. Je suis sagement mes compagnons dans l'habitacle, bien au chaud. Il était en effet temps d'aller chercher ce bateau car la glace apparaît déjà par plaques dans les chenaux les plus étroits. On rejoint ainsi la rivière Ivalo qui va nous ramener au village. Les oies sauvages s'envolent en V au ras de l'eau et deux élans, une mère et son petit, nous regardent nonchalamment passer de la rive. Joli cadeau d'arrivée.


Retour à la maison. Je demande à Outi ce qu'il en est pour demain au niveau du boulot. Elle me regarde comme si je lui posais une colle et me répond sans en être convaincue: "Tu peux commencer à 9h." Où, quoi, quand, comment? Je repasserai pour les détails. Mais où suis-je tombé? Bon, j'arrête de me poser des questions. J'ai avant toute chose pas mal de sommeil à récupérer, on verra bien demain. Ils n'ont pas l'air de s'en faire, ce n'est pas moi qui vais commencer. C'est toutefois très déroutant...

Le lendemain, premier jour, la température a sérieusement chuté et le thermomètre affiche -12 °C. J'ai testé le pipi dehors en pleine nuit et ça caille sec. N'ayant eu aucune instruction à propos de ma journée, je suis Leon qui me présente à Tommi, un guide qui travaille ici depuis 10 ans. Il est Bulgare, ce n'est donc a priori pas avec lui que j'apprendrai les us et coutumes locaux, mais il a au moins l'énorme avantage sur son boss d'être accueillant, sympa, enjoué, de faire des blagues et de nous expliquer comment se passent les choses dans la ferme. On l'aide ainsi dans son travail quotidien. Vu que la saison des safaris n'a pas encore débuté, celui-ci se résume principalement au soin des chiens et à la réparation du matériel comme la consolidation des niches ou encore la confection de plaques nominatives pour les chiens.

Mais venons-en justement aux habitants les plus importants de ces lieux: les chiens. Il y en a environ 130, la plupart d'entre eux des Alaskan Huskies, c'est-à-dire un type non défini par son ascendance mais créé pour en faire des chiens d'attelage performants. Un mélange d'un peu tout, en quelque sorte, pour en faire un super clébard résistant au froid polaire, balaise, rapide et apte à travailler. Dans la catégorie husky, il y a l'Alaskan d'un côté et les chochottes de l'autre, tout simplement. Un résultat très sympa de ces savants croisements est la diversité physique de ces toutous. On a de tout au niveau du pelage. Certains foutent un peu les boules avec leur yeux bleu clair ou vairons, caractéristique assez répandue, mais le point commun est qu'ils sont presque tous magnifiques. De belles bêtes!




Et pour ne rien gâcher, ils sont très bien dressés. Rien à voir avec le roquet à mémé qui fait ses caprices ou le clebs de salon qui montre les crocs dès qu'on approche de son territoire. Ils savent qui est le chef, aucun doute là-dessus, et je m'en rends compte tout de suite lors de ma première assignation: nettoyer les cages, ou en d'autres termes, ramasser leur merde. Pour une introduction au milieu, il va sans dire que j'y saute à pieds joints. De prime abord, la vue de ces chiens puissants et impressionnants aux mœurs sauvages, m'intimide. Je pénètre donc dans l'enclos pas très à l'aise, ils ne me connaissent pas et je ne suis pas leur maître. Les chiens sont répartis dans des cages de deux ou trois pour les plus jeunes tandis que les plus dominants ont une niche seuls, attachés à une chaîne. A notre vue, c'est le concert qui commence, les 130 chiens se mettent à aboyer comme des damnés. Ce n'est pas possible, je vais me faire bouffer, moi ici... J'imite Tommi et entre dans une cage en prenant mon courage à deux mains pour avoir une attitude assurée, du moins en apparence. Et là, les chiens s'écartent, se taisent et me regardent, certains emballés par ma présence, me tournant autour, d'autres sagement assis à me regarder jouer au golf avec leurs crottes gelées, ma pioche et le seau. Seuls les jeunes de quelques mois me font la fête en me sautant dessus, les autres attendent que je les y invite en tendant la main. Respect et soumission. Certains sont même timides alors qu'ils ont une allure de colosse. Leur maître, c'est l'homme, tout simplement. Dans un business où les touristes passent du temps avec les chiens, c'est une bonne chose.

Pour les nourrir, c'est pareil. Ils sont comme fous quand ils nous voient arriver avec les seaux remplis du mélange de viande et de graisse broyées qui leur sert de repas quotidien, mais dès qu'on s'approche pour remplir leur gamelle, ils s'écartent et attendent impatiemment qu'on parte pour approcher. Et si on veut leur ôter la gamelle pendant qu'ils mangent, pas de souci, ils se retirent. L'histoire du chien qu'il ne faut pas approcher quand il bouffe, ce n'est pas pour ici. Jamais aucun grognement ni attitude agressive vis-à-vis de nous. J'aime beaucoup ça. Ca met tout de suite à l'aise et incite au respect mutuel.

Au cours des jours suivants, la température remonte pour osciller entre -5 et -2 °C. J'aime beaucoup travailler à la dure de la sorte dans ce climat. C'est très vivifiant. Il commence à neiger pas mal et tout est maintenant recouvert de 15 cm d'ouate. Ceci dit, il n'y a pour le moment pas grand-chose à faire et j'espère que l'entraînement des chiens va bientôt débuter car ça fait maintenant deux semaines qu'on répète les mêmes tâches chaque jour. Alors, c'est chouette de nourrir les clébards et ça fait partie du tout, mais rien que ça, du ramassage de caca et du travail de remplissage pour dire de nous occuper, ça devient vite lourd. On attend donc impatiemment le début de la saison et l'arrivée des touristes, ce qui nous permettra également de socialiser un peu plus.
16h, le soleil se couche déjà
De temps en temps, on croise le chemin du boss, qui ne dit jamais bonjour et ne nous adresse jamais la parole. On a même l'impression de le déranger alors qu'on fait du boulot pour lui. Aberrant! Il ne nous donne jamais d'instructions et parle juste à Tommi en finnois pour râler et faire des remarques. Quand ce dernier est en congé, on ne sait pas quoi faire. J'en parle à Outi qui répond en riant, parlant de son mari: "Ah mais c'est tout lui, ça. Il oublie que vous êtes là. Si vous n'avez rien à faire, il faut le lui demander." Mais bien sûr... Et on doit dire s'il-vous-plaît aussi?
Cette attitude couplée à l'espace de vie qu'on nous accorde nous donne vraiment le sentiment d'être juste une main-d'oeuvre bon marché. Rien à foutre de nos tronches. Aucun désir de nous faire vivre une chouette expérience parmi eux. Du coup, j'ai un peu revu à la baisse mon projet de rester ici six mois. J'attends que la saison commence afin d'en tirer le maximum, profiter à fond des safaris, m'en foutre plein la vue, apprendre des trucs, et dès que j'en ai ras-le-bol ou si ce n'est pas à la hauteur de mes attentes, adios! Aucune raison que je me fasse chier à ce tarif-là.

Moi qui pensais pouvoir profiter de mes mois ici parmi les locaux pour apprendre un peu à parler le finnois, j'ai très vite fait une croix dessus. On est beaucoup trop loin du village pour pouvoir nous y rendre à notre guise et les échanges avec la famille qui nous hum... "accueille" sont quasi inexistants. Ceci dit, j'ai quand même déjà appris un mot non seulement très utile mais surtout essentiel à comprendre. C'est la traduction du mot 'sac', genre sac de courses. Si la caissière te demande "Pussi?", ce n'est ni une insulte ni une invitation. On se calme.

Leon et moi nous faisons à manger dans la cuisine commune de la guesthouse. Celle-ci est actuellement fermée et lorsqu'elle ouvrira ses portes dans deux semaines, on aura droit aux repas en même temps que les clients. En attendant, on joue aux chefs-coqs. Pour ce faire, Outi nous emmène au supermarché du village afin d'y faire nos provisions. Et la bonne nouvelle, enfin une, c'est qu'on n'a aucune restriction. On prend tout ce qu'on veut. Saumon ou saucisson de renne, légumes et fruits hors de prix, tout y passe et en quantité. C'est parfait car il ne manquerait plus qu'on n'ait pas assez à se mettre sous la dent, d'autant plus par un froid pareil. Et puis, je tiens à mes guitares, moi! (Comprendront ceux qui savent...)

Vivement la suite qu'on voie comment ça évolue.


samedi 16 mars 2013


Mexique - Côté Caraïbes


Après une journée de délassement le long de la lagune de Bacalar, nous continuons à remonter la côte caraïbe vers le nord jusque Tulum. Je n'ai jamais été un grand fan a priori des plages carte postale, mais vu que je suis dans le coin, je dois reconnaître avoir hâte de voir si la beauté de la Mer des Caraïbes est à la hauteur de sa réputation. A peine un pied posé sur la plage, la réponse s'impose à moi avec un "Tiens, prends ça!" L'eau est d'un turquoise éblouissant. J'en reste bouche bée. Et pour ne rien enlever à la beauté des lieux, une faune des plus intéressantes arpente nonchalamment la plage.





Seule ombre au tableau, il va de soi que cette côte est très touristique. Fini les petits villages typiques, tranquilles et sympathiques. Ici, on a droit en contrepartie à des hôtels et clubs de vacances se succédant le long de la plage. Même si Tulum reste jusqu'ici assez préservée et pittoresque en comparaison à ses voisines plus proches de Cancún, on sent tout de même qu'on est déjà dedans. Fini le Mexique authentique. Ceci dit, c'est la basse saison et ça reste assez calme.

Tulum

Après une journée complète de pluie passée à lire et à glander, je profite du retour du soleil pour me rendre sur le site archéologique de la ville. C'est sympa mais ça ne casse rien. Rien du tout à voir avec les ruines sauvages, mystérieuses ou encore impressionnantes visitées ces derniers jours. C'est tellement aménagé pour le confort des touristes qu'on dirait un parc d'attraction pour gosses. Il y en a plein, d'ailleurs, accompagnés par des parents adipeux se dandinant comme un canard d'une jambe sur l'autre, affublés d'une casquette de base-ball et d'un short dont une seule jambe pourrait me servir de sac de couchage. Cela dit, la vue des ruines avec la mer en fond reste très jolie et appréciable, même si j'ai parfois l'impression que les pierres ont été savamment disposées pour faire beau. Finalement, le seul truc qui me semble en valoir vraiment la peine dans ces ruines, c'est le décor avec la vue surplombant la mer ainsi que les superbes geais qui foisonnent. 









Le lendemain, je décide de marquer le coup pour mon dernier jour au Mexique en allant plonger dans des cénotes. Je n'ai plus plongé depuis novembre à Koh Tao et suis tout excité de m'y remettre. Notre groupe, composé de quatre Québecois, dont l'instructeur, une Argentine et moi se met en route pour deux cénotes. C'est la première fois que je plonge dans des cavernes et c'est magnifique de slalomer dans cet univers de stalactites en flottant dans une eau d'une clarté épatante. On se croirait presque voler. Lors de la plongée dans le deuxième cénote, on a droit à un phénomène particulier et très intéressant. La couche supérieure de l'eau est douce tandis que la couche inférieure est salée. Vu que cette dernière est plus dense, elles ne se mélangent pas mais à l'endroit où elles se rencontrent, se crée une ligne d'eau trouble telle du brouillard ou des volutes de chaleur. C'est très beau à voir et une fois dedans, la visibilité est fortement réduite.

Fossile de corail en surface





Après ces deux super plongées, les Québecois m'invitent chaleureusement chez eux à Playa del Carmen où on boit une bière en regardant, bien évidemment, du hockey sur glace à la télé et où ils me permettent de prendre une douche en prévision de la superbe nuit que je m'apprête à passer à l'aéroport de Cancún. Je prends en effet l'avion demain matin à 5h45 pour le Costa Rica où je m'en vais retrouver mes potes en droite provenance de Bruxelles et j'ai décidé de passer ma courte nuit sur place en attendant mon vol.

Voilà. Mes deux semaines et demie ici ont été super, très riches en découvertes et en rencontres. Le Mexique, je dis oui!


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